
La tension ne retombe pas encore à Taïwan. La Chine poursuivait, samedi 6 août, ses plus importants exercices jamais organisés autour de l’île. Ils doivent durer jusqu’à dimanche midi (6 heures à Paris) et sont présentés comme un entraînement à un « blocus » de l’île.
La visite de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, en début de semaine à Taïwan, que la Chine considère comme partie intégrante de son territoire, a provoqué l’ire de Pékin et donné lieu à des exercices militaires chinois sans précédent. Taïwan a accusé l’armée chinoise de simuler une attaque de l’île, la Chine intensifiant ses représailles après la visite à Taipei de la numéro trois américaine.
Les autorités taïwanaises ont annoncé samedi avoir détecté de « multiples » avions et navires chinois dans le détroit de Taïwan entre l’île et la Chine continentale. « Certains d’entre eux ont franchi la ligne médiane » qui coupe en deux le détroit et « sont considérés comme menant une simulation d’attaque contre l’île principale de Taïwan », a annoncé le ministère de la défense taïwanais. L’armée taïwanaise a diffusé un avertissement et déployé des patrouilles aériennes de reconnaissance aérienne, ainsi que des navires pour surveiller la situation.
L’armée chinoise a annoncé avoir déployé la veille des chasseurs, des bombardiers et de nombreux destroyers et bateaux d’escorte pour participer à ces manœuvres menées « jour et nuit », a-t-elle souligné. La télévision chinoise a diffusé dans la nuit de vendredi à samedi la vidéo d’un pilote des forces aériennes filmant, depuis son cockpit, le littoral et les montagnes de Taïwan. Ces images sont censées démontrer la capacité de Pékin à s’approcher très près des côtes de l’île.
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Pour la première fois, des missiles ont survolé Taïwan durant ces exercices militaires, a affirmé la télévision publique chinoise CCTV. Ni l’armée chinoise, ni l’armée taïwanaise n’ont toutefois confirmé cette information.
Du côté de Taipei, les autorités ont dénoncé les actions de leur « voisin malveillant » et annoncé que 68 avions et 13 navires militaires chinois avaient franchi vendredi la « ligne médiane ». Tracée unilatéralement par les Etats-Unis durant la guerre froide, cette ligne n’a jamais été reconnue par Pékin.
Tensions au plus haut depuis près de trente ans
La visite de Mme Pelosi à Taïwan a exacerbé les tensions entre les Etats-Unis et la Chine, car Washington s’était engagée à ne pas avoir de relations officielles avec le territoire insulaire revendiqué par Pékin. En réponse, la diplomatie chinoise a annoncé vendredi la « suspension » de plusieurs coopérations avec les Etats-Unis, en matière notamment de justice, de lutte antidrogue, mais aussi sur le changement climatique. Les deux pays, plus importants émetteurs de gaz à effet de serre en valeur absolue, avaient pourtant noué un accord surprise sur le climat lors du sommet de la COP26 à Glasgow l’an dernier.
Lors de la précédente crise du détroit de Taïwan (1995-1996), sous Bill Clinton, la marine américaine avait fait transiter plusieurs navires de guerre par le détroit et déployé des porte-avions non loin de l’île. Cette fois-ci, « le gouvernement américain est prudent afin d’éviter l’escalade, qu’il ne souhaite pas », estime Lonnie Henley, ex-officier de renseignement américain et professeur à la faculté d’études internationales Elliott School à Washington.
Manœuvres condamnées
L’ampleur de ces exercices a suscité la condamnation des pays du G7, des Etats-Unis ainsi que de leurs alliés. La Maison Blanche a convoqué l’ambassadeur de Chine, Qin Gang, pour fustiger un comportement jugé « irresponsable ».
La décision de Pékin de suspendre le dialogue avec Washington sur le climat a suscité une autre vague de critiques. Le porte-parole de l’exécutif américain pour les affaires de sécurité nationale, John Kirby, a lui fustigé vendredi une décision « foncièrement irresponsable ». « La Chine ne punit pas seulement les Etats-Unis, elle punit le monde entier », a-t-il ajouté.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a affiché sa consternation. Pour lui, « il est impossible de résoudre les problèmes les plus pressants dans le monde sans un dialogue et une coopération efficaces entre les deux pays », a déclaré son porte-parole.
La dégradation des relations Pékin-Washington pourrait être durable, notent des experts. « La relation américano-chinoise est actuellement dans une très mauvaise passe », affirme à l’Agence France Presss Bonnie Glaser, spécialiste de la Chine au centre de recherche German Marshall Fund of the United States à Washington.
Elle cite comme « particulièrement inquiétante » la suspension d’accords de coopération cruciaux pour la stabilité de la région, comme celui sur la coopération militaire maritime visant justement à préserver l’escalade. Pour Mme Glaser, les Etats-Unis ont sans doute « sous-estimé » la colère de l’opinion publique chinoise. La plupart des analystes s’accordent toutefois à dire que, malgré ces exercices militaires, Pékin ne souhaite pas pour l’instant une confrontation armée.