🆘 L’urgence de la transformation de l’action humanitaire

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© Hans – Licence : Pixabay

Les ONG humanitaires sont la cheville ouvrière de la solidarité internationale. Mais malgré une utilité indéniable, le bilan de leur impact apparait mitigé. En cause, des financements de plus en plus insuffisants, mais aussi une approche des crises qui doit encore gagner en efficacité, entre une offre parfois redondante sur des zones limitées d’on côté, et la multiplication des théâtres de crise de l’autre. Tour d’horizon des solutions envisagées.

Selon le plan stratégique 2023- 2026 du bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), la situation humanitaire mondiale est catastrophique et va encore empirer. Depuis 2011, le nombre de personnes nécessitant une assistance a augmenté de plus de 130 millions, dont 74 millions depuis… deux ans. Problème, les besoins excédent les ressources disponibles et l’écart continue de se creuser. Une refonte de l’écosystème humanitaire mondial est incontournable, dans le financement comme dans l’approche opérationnelle et stratégique des ONG humanitaires. Il ne sera pas toujours possible de faire plus avec moins.

Un gouffre financier

En 2022, l’ONU n’a pas financé la moitié de son appel de fonds humanitaire. Manquants de fonds, les ONG sont contraintes de limiter leurs actions. Tels des hôpitaux de campagnes, certaines en viennent à trier les populations à aider en priorité. Le phénomène concerne tout l’écosystème, des petits acteurs aux plus établis. Ainsi, en juin 2023, les programmes alimentaires mondial (PAM) annonçait une coupe de moitié dans son budget en Syrie : à la clef des millions d’individus qui vont retomber dans la faim. La Croix-Rouge elle-même est dans la tourmente. En septembre dernier, elle était contrainte de réduire ses budgets mondiaux avec pour conséquence des centaines de licenciements et un impact sur ses opérations.

La crise n’est pas terminée, car l’OCHA prévoit une aggravation de la situation humanitaire à l’horizon 2030. Comment parvenir à mobiliser les fonds ? L’enjeu n’est pas nouveau et les regards se tournent vers les bailleurs de fonds institutionnels. Actuellement, la moitié du financement de l’aide humanitaire est assurée par cinq acteurs. L’Union Européenne à elle seule mobilise près de 35% du total. Tout le monde s’accorde à reconnaitre la nécessité d’augmenter le financement. Mais les bailleurs institutionnels, États-Unis en tête, demandent un partage plus équitable. En réponse, plusieurs observateurs rappellent que seuls une poignée de bailleurs atteignent leurs objectifs en termes de part du revenu national brut (RNB).

Non seulement les ONG sont de moins en capables de financer leurs opérations, mais elles peinent d’autant plus à planifier leurs actions à long terme. Une condition pourtant essentielle à leur efficacité. Ce que les modes de financement actuels ne permettent pas, comme le rappelait dès les années 2000, Jan Egeland, ancien Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence des Nations Unies. Depuis, d’autres études, comme celles du Center For Global Développement sont venues confirmer cette réalité.

Planification, professionnalisation, réseaux, transparence… l’innovation en marche

L’écosystème humanitaire explore de nouveaux outils de financement depuis quelques années. Leurs efforts se sont dirigés notamment vers la sphère privée et les particuliers. En 2017, la Croix-Rouge lance ainsi l’Humanitarian Impact Bond (HIB), destiné à drainer l’investissement privé. D’autres investissent dans une approche de réseaux. L’ONG LIFE, spécialisée dans l’aide au développement, en particulier l’accès à l’eau, ancre ainsi l’essentiel de sa stratégie de financement sur les réseaux sociaux, chaque projet faisant l’objet d’une campagne de levées de fonds dédiée. Selon Tarek Elkahodi, président de l’ONG LIFE, le financement participatif spécifique à chaque projet est gage d’une meilleure efficacité et de plus de transparence vis-à-vis des donateurs. En s’investissant au propre comme au figuré sur un projet particulier, ils font également l’objet d’une communication sur-mesure et personnalisée.

Financement et optimisation de l’impact de l’action humanitaire sont de fait intrinsèquement liés. Dans sa stratégie d’évaluation d’impact 2016-2022, le PAM rappelle à ce titre que : « pour les organisations internationales et les donateurs, l’utilisation accrue des évaluations d’impact est motivée par la nécessité de démontrer les résultats en termes clairs et mesurables ». Le don, part essentiel du financement des ONG et de OI, étant la conséquence d’une émotion, la visibilité de l’action et de son efficacité doivent évoluer.

Action humanitaire d’impact

De facto, l’impact de l’action humanitaire est depuis quelques années questionné. C’est à partir de 2010, lors du tremblement de terre d’Haïti, que la réflexion sur les études d’impact est stimulée. On pointe alors les résultats médiocres des ONG sur le terrain. Malgré les milliards déversés, l’essentiel des populations ne voit pas leur situation s’améliorer. Principaux vices constatés : un déficit de coordination entre les organismes et un ciblage insuffisant des besoins des populations. Le phénomène n’était déjà pas nouveau. L’épisode de famines en Éthiopie, dans les années 1980, avait mis en avant de nombreux vices de procédures : déficit dans la traçabilité des aides alimentaires, systématisation des ravitaillements provoquant la faillite de la production locale, etc.

Plusieurs institutions comme l’OCHA ou des think tanks indépendants comme l’Overseas Développement Institute (OIS) ont travaillé ces dernières années sur l’optimisation de l’impact des opérations humanitaires. On distingue plusieurs volets : la coordination des ONG, l’implication des communautés assistées — dont la compréhension de leurs besoins à long terme – et la professionnalisation du secteur.

Transformation de la praxis ?

Face à ces défis persistants, de nombreuses organisations ont opéré une mutation pour bonifier leur efficacité et leur transparence. Ainsi, Médecin Sans Frontières (MSF), organisation réputée pour son action médicale, a établi un système d’évaluation régulier. Dans cette optique, elle a par exemple lancé le Centre de Réflexion sur l’Action et les Savoirs Humanitaires (Crash) qui réalise des études et des évaluations de terrains sur l’action de MSF. L’organisation revendique en outre une approche en partie basée sur l’innovation technologique pour améliorer l’accès aux soins. Enfin, MSF se veut collaborative et intégrée entre monde académique, personnels de santé locaux, institutions, secteur privé, etc afin d’optimiser sa capacité d’impact sur le terrain.

L’ONG LIFE se distingue ainsi par son approche empirique articulée avec ses opérations. Le curseur est mis sur la compréhension des besoins des régions d’intervention, mais aussi sur la collaboration avec les acteurs locaux, l’Etat et les autres ONG du pays concerné. L’objectif pour LIFE est d’établir un continuum entre aide aux populations vulnérables et développement à long terme. C’est la raison pour laquelle l’ONG planifie ses grandes orientations selon un plan stratégique à 5 ans, précise encore Tarek Elkahodi. A l’autre bout de la chaine, l’ONG LIFE a mis en place un reporting fin sur base de KPI, mais pour Fanny Fernandes, directrice exécutive de l’ONG LIFE, la méthode de reporting, fondé sur des indicateurs limités, est encore imparfaite, tant l’action humanitaire et spécifique.

L’International Rescue Committee, spécialisée dans l’assistance aux victimes de violences, entend lui innover par une approche fondée sur les data. L’ONG avait d’ailleurs fait l’objet de critiques, en RDC, dans les années 2000 sur ce plan en diffusant des chiffres de mortalité largement exagérés. Tous ses programmes font aujourd’hui l’objet d’études approfondies qui apportent des preuves de l’efficacité de son action. Des évaluations régulières sont en outre menées sur le terrain ; elles combinent enquêtes auprès des assistés ainsi que la synthèse et l’analyse de données. Les méthodes d’interventions sont alors indexées sur les résultats mis en évidence par les études. Comme LIFE, l’IRC ancre aussi son action dans la mise en place de partenariats locaux.

Le secteur humanitaire connait une phase de crise. Si cette dernière est conjoncturelle et due en partie à la conjoncture géopolitique tendue et à la multiplication des besoins, il n’en demeure pas moins que l’écosystème n’a pas toujours pas réussi à résoudre ses problèmes de financement et d’optimisation de son efficacité. Conscient des enjeux, et des risques, les ONG ont d’ores et déjà commencé leurs mues. Il est probable que les plus innovantes finiront par devenir prescriptrice pour les autres. L’argent restant aussi le “nerf de l’humanitaire”, l’action financières des institutions, dont les États, sera déterminante pour que l’action humanitaire dispose de moyens suffisants dans les années à venir.


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