🐗 Pourquoi les sangliers en Allemagne présentent toujours des hauts niveaux de radioactivité ?


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Près de 40 ans après l’accident nucléaire de Tchernobyl, les sangliers d’Europe centrale présentent toujours des hauts niveaux de radioactivité. La solution à cette énigme réside sans doute dans une autre source importante de radioactivité qui a été négligée.

Souvenons-nous : le 26 avril 1986, le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) connaissait des explosions et un incendie, suite à un défaut de conception. Résultat : des matières radioactives se dispersaient dans l’atmosphère, principalement au-dessus de l’Europe.

Près de 35 ans après cet accident nucléaire majeur qui a fait officiellement 25 000 morts, un sarcophage prévu pour durer un siècle vient d’être installé.

L’accident nucléaire de Tchernobyl a eu un impact majeur sur l’écosystème forestier en Europe centrale. Après l’accident, la consommation de champignons et d’animaux sauvages a été déconseillée en raison de la contamination radioactive élevée.

Avec le temps, comme prévu, la contamination radioactive des cerfs et des chevreuils a diminué mais pas chez les sangliers. Les valeurs limites sont toujours largement dépassées dans certaines échantillons prélevés chez les sangliers aujourd’hui.
Pendant de nombreuses années, ce « paradoxe du sanglier » restait un mystère – mais maintenant, grâce à des mesures élaborées de l’Université de technologie de Vienne (TU Wien) et de l’Université Leibniz de Hanovre, une explication a été trouvée : il s’agit d’une conséquence tardive des essais nucléaires des années 1960.

« L’élément le plus important pour la radioactivité des échantillons est le césium-137 (137Cs), qui a une demi-vie d’environ 30 ans« , explique le professeur Georg Steinhauser de la TU Wien. L’explosion du réacteur nucléaire de Tchernobyl a eu lieu il y a maintenant 37 ans, ce qui signifie que plus de la moitié de cet isotope s’est déjà désintégré.

De plus, le césium s’est dispersé depuis Tchernobyl, il a été emporté par les eaux de pluie, il s’est lié à des minéraux et peut-être a t’il migré profondément dans le sol, de sorte qu’il n’est actuellement plus absorbé par les plantes et les animaux en quantités similaires à ce qui prévalait immédiatement après l’accident nucléaire. Ainsi, après une demi-vie, la plupart des échantillons alimentaires maintenant collectés ne présentent pas seulement la moitié de la concentration d’activité originale, mais beaucoup moins.

Pourquoi les sangliers restent hautement radioactifs ?

Mais pas chez le sanglier ! Là, les niveaux de radiation sont restés presque constants dans les échantillons prélevés en Allemagne par les chercheurs. C’est pourquoi, la viande de sanglier est toujours considérée comme inappropriée à la consommation car elle présente des niveaux de radiation qui dépassent clairement la limite permise.
La radioactivité diminue beaucoup plus lentement que ce qui serait attendu de la seule désintégration radioactive naturelle du césium – un résultat qui semble à première vue complètement contradictoire d’un point de vue physique.

Le professeur Georg Steinhauser et son équipe se sont lancés dans cette énigme : en effectuant de nouvelles mesures plus précises, ils souhaitaient déterminer non seulement la quantité, mais aussi l’origine de la radioactivité.

« Cela est possible car différentes sources d’isotopes radioactifs ont des empreintes physiques différentes« , explique le docteur Bin Feng, qui mène ses recherches à l’Institut de chimie inorganique de l’Université Leibniz de Hanovre et au Centre TRIGA de l’Atominstitut de la TU Wien. « Par exemple, elles ne libèrent pas seulement du césium-137, mais aussi du césium-135, un isotope de césium ayant une demi-vie beaucoup plus longue. » ajoute-t-il. Et le rapport entre les deux types de césium n’est pas toujours le même – par exemple, les retombées de l’accident nucléaire de Tchernobyl avaient une empreinte isotopique différente de celle des essais nucléaires des années 1960. Mesurer ce rapport peut donc fournir des informations sur l’origine du matériau radioactif.

Les essais nucléaires menés dans les années 1960 s’inscrivent dans la course aux armements nucléaires entre les États-Unis et l’Union soviétique, les deux superpuissances de l’époque.
Environ 500 essais nucléaires (atmosphériques, souterrains et sous-marins) ont été menés dans différentes parties du monde, engendrant des retombées radioactives qui ont contaminé tous les milieux.

Toutefois, quantifier précisément le césium-135 est très difficile. « Étant donné sa longue demi-vie [2,3 millions d’années] et sa faible désintégration, on ne peut pas le détecter simplement avec des détecteurs de radiation« , explique Georg Steinhauser. « Il faut travailler avec des méthodes de spectrométrie de masse et aller relativement loin pour le distinguer précisément des autres atomes. Nous y sommes parvenus.« 

Leurs résultats sont inattendus : si près de 90 % du césium-137 présent en Europe centrale provient de Tchernobyl, cette proportion dans les échantillons de viande de sanglier est beaucoup plus faible. Ainsi, une grande partie du césium présent dans la viande de sanglier est attribuable aux essais nucléaires des années 1960 – jusqu’à 68 % dans certains échantillons !

La truffe du cerf est (probablement) à blâmer

Cela s’expliquerait par les préférences alimentaires très particulières des sangliers : ils aiment particulièrement déterrer les truffes du cerf dans le sol, et le césium radioactif s’accumule dans ces champignons souterrains avec un retard important. « Le césium migre très lentement dans le sol, parfois seulement d’environ un millimètre par an« , explique Georg Steinhauser. Les truffes, qui se trouvent à des profondeurs de 20 à 40 centimètres, absorbent donc seulement maintenant le césium libéré lors de l’accident de Tchernobyl. Le césium issu des « anciens » essais nucléaires, en revanche, est déjà arrivé là depuis quelque temps. »

Les truffes du cerf, également nommées « fausses truffes », font partie des champignons les plus contaminés par la radioactivité. Elles plaisent plus aux biches et aux sangliers qu’aux humains qui leur préfèrent la truffe de Bourgogne ou la truffe noire.

Il y a donc une interaction complexe de différentes sources de radioactivité : à la fois le césium des essais nucléaires et le césium de Tchernobyl se répandent dans le sol, et les truffes sont ainsi contaminées par ces deux isotopes qui migrent progressivement dans le sol.

Au final, la contamination de la viande de sanglier ne devrait pas diminuer de manière significative dans les prochaines années, car une partie du césium de Tchernobyl atteint seulement maintenant les truffes.

Les truffes des autres régions d’Europe sont elles encore radioactives ?

Après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986, le vent et les précipitations ont réparti des quantités importantes de particules radioactives, notamment le césium 137 (137Cs), sur tout le continent européen. « En de nombreux endroits, l’horizon supérieur du sol forestier est aujourd’hui encore contaminé par la radioactivité », expliquait Ulf Büntgen, responsable du groupe Dendroécologie à l’Institut de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL, en février 2016.

Ainsi, d’après les analyses menées entre 2010 et 2014, certains champignons forestiers présentaient encore des taux de radioactivité dangereux. Mais par les truffes de Bourgogne ou truffes d’été (Tuber aestivum), que les gourmets apprécient particulièrement pour leur saveur de noisette. « Nous avons été très étonnés de constater que l’ensemble des exemplaires étudiés ne présentaient que très peu de 137Cs », ajoute Ulf Büntgen. Les scientifiques ont analysé 82 truffes de Bourgogne, provenant de différents milieux naturels et de plantations en Suisse, en Allemagne, en France, en Italie et en Hongrie.

« Tous les échantillons analysés présentaient des taux négligeables de radioactivité. Les valeurs de 137Cs se situaient sous le seuil de détectabilité de 2 becquerels. Cette valeur est bien inférieure au seuil de tolérance de 600 becquerels par kilo. Les truffes des régions étudiées peuvent donc être consommées sans la moindre crainte. » précisait le WSL.

Les chercheurs ne comprennent pas encore pourquoi les truffes de Bourgogne sont moins susceptibles d’absorber la radioactivité que d’autres champignons. Peut-être que cela s’explique par la façon dont Tuber aestivum prélève les nutriments dans le sol.

Enfin, si les sangliers allemands sont encore hautement radioactifs, notamment dans le sud-est de l’Allemagne (Bavière), les sangliers autrichiens, suisses et français le sont sans doute également dans des proportions à déterminer…


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