🐟 Comment manger du poisson sans s’intoxiquer au mercure ?


Manger rĂ©guliĂšrement du poisson est Ă  priori bon pour la santĂ© sauf que les mers et ocĂ©ans de notre planĂšte sont maintenant tellement polluĂ©es que les poissons sont contaminĂ©s au mercure. Un vĂ©ritable casse-tĂȘte pour se nourrir sainement…

La consommation mondiale d’animaux marins par habitant a doublĂ© en 50 ans : elle est passĂ©e de 10 kg en 1960 Ă  plus de 20 kg en 2020, avec de fortes disparitĂ©s rĂ©gionales. En Europe et en AmĂ©rique du Nord, la consommation dĂ©passe mĂȘme 24 kg par habitant.
Il existe un consensus sur la valeur ajoutĂ© nutritionnelle du poisson dans notre alimentation mais c’Ă©tait sans prendre en compte la pollution au mercure des mers et ocĂ©ans qui a Ă©tĂ© multipliĂ©e par trois depuis la rĂ©volution industrielle.

Le Biodiversity Research Institute et le Zero mercury working group, ont lancĂ© des alertes sur la contamination au mercure des poissons suite aux rĂ©sultats inquiĂ©tants de prĂ©lĂšvements marins effectuĂ©s dans des zones de pĂȘches synthĂ©tisĂ© dans un rĂ©cent rapport.

« Le poisson est le plus sain des aliments »

Originellement, la consommation de poisson est conseillĂ©e puisque selon la FAO, « le poisson est le plus sain des aliments » : « c’est un gros fournisseur de micronutriments essentiels pour une bonne alimentation. Au-delĂ  de l’Ă©nergie et des protĂ©ines qu’il dispense, il diminue le risque de maladies coronariennes et amĂ©liore la santĂ© cardio-vasculaire. Le poisson est Ă©galement un grand fournisseur de n-3 poly acides gras insaturĂ©s Ă  chaĂźne longue (LC n-3 PUFA), qui sont manifestement liĂ©s Ă  un meilleur dĂ©veloppement cognitif tel que mesurĂ© par les compĂ©tences en lecture jusqu’Ă  l’Ăąge de 12 ans. Soulignons que les omĂ©ga-3 Ă  chaĂźne longue sont naturellement prĂ©sents dans les microalgues (phytoplancton) ingĂ©rĂ©es par les poissons.

Pourtant, les produits de la mer constituent la principale source d’exposition humaine au mercure.

Les océans sont de plus en plus pollués par le mercure

Le mercure (Hg) est un Ă©lĂ©ment trace mĂ©tallique (anciennement appelé mĂ©taux lourds) qui est assimilĂ© par les organismes vivants sous une forme chimique biodisponible et trĂšs toxique : le mĂ©thylmercure (MeHg). Or, le mĂ©thylmercure est « stable et Ă  forte affinitĂ© pour les protĂ©ines », il aura donc « une forte tendance Ă  s’accumuler dans les organismes et Ă  se propager le long des chaĂźnes alimentaires » indique l’INSU.

Le mercure est notamment Ă©mis par les activitĂ©s humaines (exploitation miniĂšre, orpaillage, mĂ©tallurgie, transformation de pĂąte Ă  papier, combustion des dĂ©chets et du charbon en particulier). Il s’est largement dissĂ©minĂ© dans les Ă©cosystĂšmes terrestres et marins, jusqu’en Antarctique !

Aujourd’hui, les ocĂ©ans constituent l’un des principaux rĂ©servoirs pour le mercure qui s’accumule tout au long de la chaĂźne trophique : du plancton et des petits poissons jusqu’aux plus gros prĂ©dateurs marins : « PrĂ©sent Ă  de faibles concentrations dans l’eau ou les sĂ©diments sous sa forme mĂ©thylĂ©e, il peut se concentrer trĂšs fortement dans les organismes aquatiques, sa teneur tendant Ă  s’Ă©lever au fil de la chaĂźne alimentaire, Ă  chaque fois qu’une espĂšce en mange une autre », indique l’Anses. Autrement dit, les grands poissons prĂ©dateurs prĂ©sentent gĂ©nĂ©ralement une plus forte teneur en mercure car ils se nourrissent de plus petits animaux qui ont eux-mĂȘmes dĂ©jĂ  ingĂ©rĂ© du mercure.

Manger du poisson : « la principale source d’exposition alimentaire de l’homme au mĂ©thylmercure »

La consommation de poissons constitue la principale source d’exposition alimentaire de l’homme au mĂ©thylmercure selon l’Anses. Le niveau de contamination augmente chez les espĂšces marines situĂ©es en haut de la chaĂźne alimentaire : requin, marlin, espadon, lamproie, thon rouge du Pacifique, mais aussi le homard, les petites baleines et les phoques.
RĂ©sultat : les poissons et les autres espĂšces aquatiques consommĂ©es par l’Homme ont des concentration en mercure qui dĂ©passent souvent les niveaux de sĂ©curitĂ© alimentaire dĂ©finis par l’Organisation Mondiale de la SantĂ© (OMS).

« Pratiquement tout individu prĂ©sente au moins des traces de mĂ©thyle mercure dans ses tissus, ce qui reflĂšte l’omniprĂ©sence de ce composĂ© dans l’environnement et l’ampleur de l’exposition Ă  travers la consommation de poissons et de crustacĂ©s » explique l’OMS.

Or, « les risques pour la santĂ© sont tout particuliĂšrement Ă©levĂ©s pour le fƓtus et les jeunes enfants », ce qui « constitue donc un enjeu de santĂ© publique d’importance » explique l’IRD.

Guide de consommation de poissons et mercure

Le Biodiversity Research Institute et ses partenaires ont effectuĂ© prĂšs de 26 000 prĂ©lĂšvements dans les zones de pĂȘche autour du globe et le constat est inquiĂ©tant.

Les poissons qui ne devraient pas ĂȘtre mangĂ©s

Certaines espĂšces de poissons ne devraient tout simplement pas ĂȘtre consommĂ©es, comme le marlin, le maquereau roi, l’espadon et le thon rouge du pacifique, qui, paradoxalement fait l’objet de ventes Ă  des prix records pour alimenter quelques restaurants japonais spĂ©cialisĂ©s dans les sushis. Manger des sushis au thon rouge n’est donc pas recommandĂ©.

Les poissons qui ne devraient ĂȘtre consommĂ©s qu’une fois par mois

D’autres espĂšces ne devraient ĂȘtre consommĂ©es qu’une fois par mois, c’est le cas des autres espĂšces de thon dont le thon albacore que l’on retrouve notamment dans les boĂźtes de thon si communes. A ne consommer qu’une fois par mois Ă©galement : hoplostĂšthe orange, mĂ©rou, merlu…

Les poissons qui peuvent ĂȘtre consommĂ©s une Ă  plusieurs fois par semaine

Bonne nouvelle tout de mĂȘme : des espĂšces marines peuvent ĂȘtre consommĂ©es une fois par semaine (mais pas davantage) comme le bar, l’anchois, le chinchard, la sardine et le flet.
Et mĂȘme deux fois par semaine : hareng, maquereau tachetĂ©, mulet, morue.

Les poissons qui peuvent ĂȘtre consommĂ©s sans restriction

Selon le rapport, l’aiglefin et le saumon sont les deux espĂšces de poisson qui prĂ©sentent le moins de mercure et peuvent donc ĂȘtre consommĂ©s librement.


Tableau récapitulatif des poissons et des recommandations de consommation par rapport à leur concentration en mercure
Source : Biodiversity Research Institute / notre-planete.info
 EspÚces de poissons
Ne pas consommerMarlin, maquereau roi, espadon, thon rouge du pacifique (présent dans certains sushis)
Ne consommer qu’une fois par moisThon albacore, thon jaune, thon obĂšse, thon listao, hoplostĂšthe orange, tassergal, mĂ©rou, merlu, grenadier, vivaneau
Ne consommer qu’une fois par semaineBar, anchois, chinchard, sardine, flet
Ne consommer que 2 fois par semaineHareng, maquereau tacheté, mulet, morue
Consommer à volontéAiglefin, saumon

Quelle espÚce de thon est la plus contaminée au mercure ?

Selon une Ă©tude de l’IRD publiĂ©e dĂ©but 2019, la teneur en mĂ©thylmercure dans les thons du Pacifique Central et Sud-Ouest dĂ©pend non seulement de leur taille et de l’espĂšce considĂ©rĂ©e mais aussi de leur origine gĂ©ographique.

Les plus fortes concentrations en mercure sont retrouvĂ©es dans les spĂ©cimens les plus grands et dans certaines espĂšces comme le thon obĂšse. Toutefois les seuils sanitaires prĂ©conisĂ©s sont rarement dĂ©passĂ©s : seuls 1% des prises d’albacore et de thons germons et 11% des thons obĂšses, et qui concernent principalement les plus gros individus (>1m), affichent des concentrations supĂ©rieures aux niveaux maximums autorisĂ©s. « Au vu des bĂ©nĂ©fices nutritionnels avĂ©rĂ©s, notamment les apports en omĂ©ga-3 qui prĂ©viennent certaines maladies cardiovasculaires, il ne faut pas bannir la consommation de thon mais seulement la modĂ©rer », affirme Anne Lorrain Anne Lorrain, spĂ©cialiste en Ă©cologie marine au laboratoire LEMAR.

Le cas des mollusques et crustacés

Mollusques et crustacĂ©s reprĂ©sentaient environ 23 pour cent de la pĂȘche mondiale en 2010. Dans cette catĂ©gorie, les crevettes sont les animaux les plus consommĂ©s selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La FAO et l’OMS ont rĂ©cemment Ă©valuĂ©s les risques et avantages liĂ©s Ă  la consommation de poissons et crustacĂ©s dans un rapport qui prĂ©cise notamment les concentrations en mercure pour un large Ă©ventail de fruits de mer.

Les moules comme les palourdes et les pĂ©toncles ont une concentration moyenne totale en mercure d’environ 0,02 ppm (en poids humide), et peuvent donc ĂȘtre consommĂ©s sans restriction. Ce n’est pas le cas du homard amĂ©ricain (0,22 ppm) qui ne devrait ĂȘtre consommĂ© qu’une fois par mois au maximum.

Des normes sanitaires à réviser

MĂȘme Ă  trĂšs faible dose, le mercure est nĂ©faste, notamment sur le dĂ©veloppement du cerveau. Ce qui explique que le Dr Edward Groth, conseiller Ă  l’Organisation Mondiale de la SantĂ©, dĂ©clare que « des niveaux d’exposition dĂ©finis comme sĂ»rs par les seuils officiels causent en fait des effets indĂ©sirables« .

C’est pourquoi, le Dr Edward Groth prĂ©conise de diminuer les valeurs limites de consommation de mercure Ă  un quart des recommandations actuelles des Etats-Unis et de ne pas consommer d’espĂšces comme le marlin et le thon rouge du Pacifique.

Les recommandations rassurantes de l’Anses : « la consommation de poissons ne prĂ©sente pas de risque pour la santĂ© au regard du risque liĂ© au mĂ©thylmercure. », qui s’appuient sur les valeurs actuelles de l’OMS mĂ©riteraient donc d’ĂȘtre rĂ©visĂ©es.

La toxicitĂ© du mercure sur l’organisme

Parmi tous les mĂ©taux lourds, le mercure est le plus toxique. « L’exposition chronique au mercure (mĂȘme Ă  des niveaux trĂšs faibles) augmente l’inflammation, le stress oxydatif, la dĂ©fense oxydative et la bio-disponibilitĂ© de l’oxyde nitrique, et stimule la dysfonction endothĂ©liale, ce qui augmente le risque de maladies cardiovasculaires et d’accidents vasculaires cĂ©rĂ©braux », prĂ©cise une Ă©tude publiĂ©e en septembre 2023 dans Health Sciences Review.

Selon l’Agence EuropĂ©enne pour l’Environnement (AEE), « l’incidence sur la santĂ© dĂ©pend de la dose ingĂ©rĂ©e, mais la principale source de prĂ©occupation reste l’effet du mercure sur les fƓtus et les jeunes enfants. L’exposition au mercure peut se produire in utero, en raison de la consommation par la mĂšre de fruits de mer. Cela peut avoir des rĂ©percussions importantes et permanentes sur le cerveau et sur le systĂšme nerveux en dĂ©veloppement de l’enfant et entraĂźner des effets prĂ©judiciables sur la mĂ©moire, le langage, l’attention, ainsi que sur d’autres aptitudes. Selon les estimations, chaque annĂ©e, rien qu’en Europe, plus de 1,8 million d’enfants naissent avec un taux de mercure supĂ©rieur aux limites de sĂ©curitĂ© recommandĂ©es. »

One Voice nous dresse une synthĂšse des effets nocifs du mercure sur la santĂ© : « L’intoxication chronique par le mercure, provenant notamment d’aliments contaminĂ©s, et de son accumulation dans l’organisme, perturbe le fonctionnement des cellules et des enzymes de nombreux systĂšmes.

Elle entraĂźne des symptĂŽmes nerveux (perturbations du dĂ©veloppement du systĂšme nerveux in utero et pendant l’enfance, retard de dĂ©veloppement du fƓtus mĂȘme en l’absence de signes toxiques chez la mĂšre, maux de tĂȘte, vertiges, anxiĂ©tĂ©, dĂ©pression, fatigue, troubles du sommeil, engourdissement et gonflement des extrĂ©mitĂ©s, tremblements, troubles de la vision et de l’audition…) et cutanĂ©s (rougeurs sur la paume des mains et la plante des pieds, urticaire…).

Elle touche aussi l’appareil digestif (hyper-salivation ou sĂ©cheresse buccale, diarrhĂ©e, constipation, brĂ»lures du tube digestif, douleurs d’estomac, nausĂ©es, perte d’appĂ©tit, prise de poids ou amaigrissement) et les reins (prĂ©sence de protĂ©ines et de globules rouges dans les urines).

Le mercure agit aussi sur les systĂšmes cardiovasculaire et respiratoire et induit des troubles du rythme cardiaque (tachycardie, arythmie…), des douleurs cardiaques, de l’hyper ou de l’hypotension, des difficultĂ©s respiratoires… Il dĂ©rĂšgle le systĂšme immunitaire, ce qui peut conduire Ă  des infections rĂ©pĂ©tĂ©es et des allergies.

Enfin, le mercure est Ă  l’origine de troubles hormonaux, agissant notamment sur la thyroĂŻde et la reproduction et pouvant conduire Ă  l’infertilitĂ©. »

« Le niveau de mercure dans l’ocĂ©an Pacifique devrait augmenter de 50% d’ici 2050 si les tendances actuelles se poursuivent« , a dĂ©clarĂ© Richard Gutierrez, directeur exĂ©cutif de Ban Toxics!, situĂ© Ă  Quezon City, Philippines. « Il s’agit d’un appel au rĂ©veil pour tous les gouvernements afin d’endiguer la marĂ©e montante de la pollution au mercure et finaliser un traitĂ© ambitieux. »

Que peut-on finalement manger ?

Avec l’effondrement dramatique des stocks de poissons et la rarĂ©faction des grands prĂ©dateurs marins, cette contamination au mercure pourrait, si les consommateurs s’en soucient, permettre Ă  certaines populations de poissons se reconstituer. En attendant, il devient de plus en plus complexe de se nourrir :

  • la viande est de mauvaise qualitĂ©, contaminĂ©e par les OGM, les pesticides et les antibiotiques, fait l’objet de fraudes qui rendent sa traçabilitĂ© hasardeuse (cas de la viande de cheval dans certains plats prĂ©parĂ©s) et est prĂ©judiciable pour la santĂ© ;
  • les fruits et lĂ©gumes qui ne sont pas issus de l’agriculture biologique ou d’un potager favorablement localisĂ©, sont Ă©galement contaminĂ©s par les pesticides et les pollutions.
  • Restait le poisson qui jouit encore d’une bonne rĂ©putation mais qui s’avĂšre finalement s’avĂšre aussi problĂ©matique pour la santĂ©. De surcroĂźt, la surpĂȘche compromet tout simplement son existence dans l’assiette d’ici quelques dĂ©cennies.

Plus que jamais, un rĂ©gime quasi exclusivement vĂ©gĂ©tal, Ă©quilibrĂ© et variĂ©, issu d’une agriculture biologique ou familiale locale s’impose comme le meilleur compromis pour manger sainement.

En seulement quelques gĂ©nĂ©rations, les activitĂ©s humaines ont rĂ©ussi Ă  polluer l’ensemble des Ă©cosystĂšmes de notre planĂšte au point que les progrĂšs que nous avions rĂ©alisĂ© en terme de sĂ©curitĂ© sanitaire pour l’alimentation sont largement compromis. Une rĂ©alitĂ© bien tragique…


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