la démesure des constructions humaines

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Emirats Arabes Unis
© Ashish Laddha / Pixabay – Licence : Pixabay

Si la construction des tours n’est pas forcément l’un des défis majeurs du XXIe siècle, la croissance des villes l’est : bientôt 70% de la population mondiale habitera en milieu urbain. Les tours peuvent ponctuellement répondre aux enjeux de mobilité, d’attractivité et de mixité, mis en avant pour le développement de villes plus durables. C’est ce qu’a étudié dans sa thèse Claire Saint-Pierre, une jeune chercheuse de l’Université de Liège.

La hauteur a toujours été symbole de prestige. Dans les récits bibliques, la tour de Babel s’élevait jusqu’aux cieux. D’autres noms sont connus de tous : Eiffel, Pise, Big Ben… et plus tristement, les tours jumelles du World Trade Center. Depuis les débuts de la société urbaine, le statut et le rôle des édifices en hauteur ont largement évolué. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les tours étaient exclusivement réservées à la localisation d’un pouvoir supérieur, qu’il soit d’ordre politique ou religieux. Le XXe siècle a marqué l’arrivée sur le continent Nord-américain des premières tours habitables destinées au secteur tertiaire. Les « skyscrapers » constituaient alors le symbole de la puissance économique d’un groupe. La course à la hauteur et à l’innovation était lancée. A présent, ces monstres d’acier et de verre dominent toutes les grandes métropoles du monde, comme une acceptation de l’idéologie capitaliste, symbolisant plus que jamais la force et la modernité d’une nation.

Les tours du monde

Les tours existent depuis des siècles et leur fonction a considérablement évolué : tantôt objet de surveillance ou de défense, tantôt symbole de puissance religieuse ou administrative, tantôt fonction d’usage en télécommunications, tantôt fonctions commerciales ou résidentielle. La terminologie du mot « tour » est également variable. D’après le Centre National de ressources textuelles et lexicales, la définition de base d’une tour est « une construction nettement plus haute que large, dominant un édifice ou un ensemble architecturale, et ayant généralement un rôle défensif ». D’autres termes peuvent être progressivement créés lors de l’apparition de nouvelles morphologies et de nouvelles fonctionnalités. « Dans la législation et dans le domaine de la construction, nous parlerons plutôt de bâtiments hauts (tall buildings), ou d’immeubles de grande hauteur – IGH – (high rise buildings) quand ce sont des constructions habitées. Le terme « gratte-ciel » vient de l’anglais (skyscraper), et est apparu au début du XXe siècle. Dans tous les cas, ce sont les rapports des hauteurs qui sont important : échelle verticale très supérieure à l’échelle horizontale et hauteur de la tour relativement supérieure à celle des bâtiments environnants. Aujourd’hui, les immeubles de grande hauteur se caractérisent également par leur technologie », explique Claire Saint-Pierre, auteur d’une thèse de doctorat sur le sujet au sein du service Urbanisme et Aménagement du territoire de l’Université de Liège.

Le mot « gratte-ciel » fait inévitablement penser à New-York ou au schéma classique des CBD (Central Business District) des grandes métropoles américaines. Lorsqu’il s’agit de consulter l’opinion publique pour demander l’avis sur une nouvelle construction de tour, la réponse variera beaucoup en fonction de la zone géographique. « Les tours sont globalement plus acceptées sur les continents américain ou asiatique qu’en Europe. Les États-Unis sont le berceau des gratte-ciels et immeubles de grande hauteur. Ils ont permis une grande avancée dans le développement urbain au XIXe et XXe siècle et les populations sont plus habituées par cette morphologie urbaine. En Europe, les villes sont davantage constituées de bâtiments historiques ou classés au patrimoine et les changements radicaux en centre-ville sont plus difficiles. Particulièrement en France où les gens gardent un mauvais souvenir des constructions de tours des années 1970. Depuis, les tours sont globalement mal acceptées, surtout par les riverains d’un futur projet de tour », constate la chercheuse originaire de la banlieue parisienne.

Les plus hauts gratte-ciels du monde























Les 20 plus hauts gratte-ciels du monde, terminés ou en construction
RangNom de la tourVillePaysHauteurAnnée de fin de construction
1Jeddah Tower
ou Kingdom Tower
DjeddahArabie Saoudite1007 mReprise du chantier en 2023 après 5 ans d’inactivité
2Burj KhalifaDubaiÉmirats Arabes Unis828 m2010
3Suzhou Zhongnan CenterSuzhouChine729 m2025
4Merdeka 118Kuala LumpurMalaysie679 m2023
5Shanghai TowerShanghaiChine632 m2015
6Abraj Al-Bait Clock TowerLa MecqueArabie Saoudite601 m2010
7Ping An Finance CenterShenzhenChine599 m2016
8Goldin FinanceTianzinChine597 mConstruction inachevée et inoccupée en 2024
9Lotte World TowerSeoulCorée du Sud554 m2017
10One World Trade CenterNew YorkEtats-Unis541 m2014
11Guangzhou CTF Finance CentreGuanzhouChine530 m2016
12Tianjin CTF Finance CentreTianjinChine530 m2019
13China ZunBeijingChine527 m2018
14Willis TowerChicagoEtats-Unis527 m1973
15Taipei 101TaipeiChine509 m2004
16Wuhan Greenland CenterWuhanChine500 m2024
17Shanghai World Financial CenterShanghaiChine492 m2008
18International Commerce CenterHong KongHong Kong484 m2010
19Central Park TowerNew York CityEtats-Unis472 m2020
20Lakhta CenterSaint PetersbourgRussie462 m2019

Des gratte-ciels toujours plus haut

La première tour du monde devant dépasser 1 km de haut, la Jeddah Tower (Arabie Saoudite) peine à s’édifier : le chantier est à l’arrêt depuis la pandémie de COVID-19, ce qui pose question sur l’avenir de ce projet titanesque.

Autre projet de démesure : le japon ambitionne de construire la « Sky Mile Tower », une tour résidentielle de 1 700 mètres de haut. Celle-ci serait érigée dans la baie de Tokyo avec des îlots qui formeront le « Next Tokyo 2045″… Un véritable défi pour le Japon qui est exposé à des séismes majeurs et la menace d’une éruption de supervolcan.

Avantages et inconvénients des gratte-ciels

Aujourd’hui, les tours ne sont pas du tout incontournables. Elle font néanmoins partie intégrante du paysage des grandes métropoles à travers le monde. Chaque continent, chaque pays et même chaque ville a sa propre culture et s’approprie de manière très différente cette morphologie urbaine.

Par ailleurs, il est évident qu’une tour présente des avantages et des inconvénients. Parmi les avantages, on peut évoquer la rentabilisation de l’espace (rentabilisation foncière et fonctionnelle), la participation aux centralités urbaines (concentration d’activités, réduction des déplacements), la possibilité d’intégrer des fonctionnalités en centre-ville, la symbolique et l’image qu’elle peut revêtir, ou encore la diversité d’échelles qu’elle met en perspective. Parmi les inconvénients, pointons le coût de construction et les charges de fonctionnement élevés (dus aux technologies nécessairement présentes pour l’usage de la tour), les impacts sur le confort des usagers (effets de vent, ombre portée, confinement), les difficultés de réalisation (cadre réglementaire et spécialisation fonctionnelle des investisseurs).

Le syndrome de la « tour verte »

Le concept de ville durable apparaît de plus en plus au cœur de nombreuses réflexions et de nombreux projets avant-gardistes et futuristes. « Et c’est tant mieux ! », affirme Claire Saint-Pierre. « Ce sont souvent ces projets qui font le plus avancer les choses. Aujourd’hui, certaines tours dites « écologiques » sont en construction, comme la tour de Shanghaï. La Bahrain World Trade Center Manama, elle, a déjà vu le jour et peut être qualifiée de tour écologique. Ce sont des édifices qui contiennent de nombreux éléments d’architecture durable : géothermie, design architectural pour réduire les effets de vents, utilisation de double-peaux pour les façades afin de réguler des flux d’air, insertion de végétation dans les étages, etc. Quant aux fermes verticales, elles sont encore en projet et se rapprochent des enjeux de l’agriculture urbaine ». L’idée des fermes verticales est née en 1999, dans le cerveau d’un professeur en sciences environnementales et en microbiologie, Dickson Despommiers. Convaincu qu’elles peuvent résoudre les problèmes de pénurie alimentaire, le chercheur est leur inlassable défenseur. Selon lui, « il manquera en 2050, à une humanité citadine à 80 %, l’équivalent de la surface du Brésil pour produire de quoi la nourrir ».

Tour de taille

Burj KhalifaBurj Khalifa, Dubaï – Emirats Arabes Unis
© King of hearts

Les avancées techniques et technologiques en matière de construction des tours sont importantes. En ingénierie, le développement d’outils de calculs et de simulations permet de construire des projets gigantesques (tours, ponts, stades, etc.) et les risques d’effondrement sont normalement prévus par les ingénieurs, en particulier dans les zones sismiques. « La qualité et la précision de réalisation des calculs et de construction sont très importantes. Si toutes les précautions sont prises par les ingénieurs, il y a peu de risques. Les effondrements arrivent souvent quand la structure du bâtiment est endommagée, après un incendie par exemple. Le problème de la grande hauteur, c’est surtout les dégâts alentours que pourrait provoquer un effondrement ».

Des symboles de pouvoir et de grandeur

Le gain d’espace n’est pas forcément l’objectif final, même s’il est souvent utilisé comme argument lors d’un projet de construction de tour. Par nature, l’Homme cherche à s’élever de plus en plus haut. Le record actuel est détenu par la Burj Khalifa : 828 mètres de démesure vers les cieux, au-dessus de la ville de Dubaï aux Emirats Arabes Unis.

Une tour c’est aussi un puissant symbole, un « phare » qui est visible de très loin et qui marque le paysage et emplit les esprits de fierté. A ce titre, c’est aussi une cible pour les terroristes : on se souvient du choc de la destruction des tours jumelles du World Trade Center en 2001. Et une cible en cas de guerre comme en témoigne l’attaque des rebelles yéménites d’Ansar Allah, le 23 janvier 2022, sur le plus grand gratte-ciel du monde, Burj Khalifa : plusieurs roquettes et drones kamikazes ont été lancés sur la tour, heureusement interceptés avec succès.

L’humanité ne compte pas s’arrêter en si bon chemin… Il y a la Kingdom Tower en cours de construction à Djedda (Arabie Saoudite) qui devait être achevée en 2020 et dépasser le kilomètre ! « La barre très symbolique du kilomètre va sans doute être atteinte ! Personnellement, je trouve les intérêts de ces projets assez insensés et je préfère faire une randonnée en montagne pour atteindre de tels sommets », conclut la chercheuse.


Diagnostics de sites et méthode d’implantation de tour pour une insertion urbaine de qualité. Claire Saint-Pierre, Thèse de doctorat réalisée sous la direction des professeurs Jacques Teller et Youssef Diab, Université de Liège, 2014, 483p.

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