la nouvelle ère géologique engendrée par l’Homme

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Les activités humaines ont-elles perturbé l’écosystème Terre au point que nous aurions engendrer une nouvelle ère géologique ? Baptisée Anthropocène, cette période « artificielle » de l’histoire de la Terre suscite de plus en plus l’intérêt de la communauté scientifique, au point qu’elle pourrait même servir à déceler les éventuelles traces d’une hypothétique civilisation disparue il y a des millions d’années… Sur Terre : « l’hypothèse du Silurien ».

L’impact sans précédent de l’humanité sur la Terre depuis le début de l’ère industrielle est si monumental que des chercheurs dans de nombreux domaines liés à l’histoire, à la biologie, la climatologie, aux sciences de la Terre… Cherchent à créer une nouvelle définition précise de cette ère moderne, qu’ils appellent l’Anthropocène du grec « humain » et « nouveau ».

Il y a 10 000 ans déjà (au début de l’agriculture), près des trois quarts des surfaces terrestres étaient transformées par les activités humaines, sans toutefois compromettre la biodiversité comme le montre une étude de l’Université du Queensland (Australie). Ce qui confirme encore la bonne gestion environnementale des communautés autochtones et traditionnelles comme les indigènes d’Australie qui ont réussi à vivre tout en préservant leur environnement pendant plus de 50 000 ans !

Depuis, en seulement quelques générations, l’Homme a profondément transformé et souillé son support de vie pour développer nos civilisations « modernes ». « La destruction de l’environnement moderne est le résultat de l’appropriation, de la colonisation et de l’utilisation croissante des paysages agricoles durables, façonnés depuis longtemps et entretenus par les sociétés antérieures« , a précisé le professeur James E. M. Watson, auteur dans cette étude.

La pression insoutenable des activités humaines pour produire de la « richesse » – à tout prix – a rompu les grands équilibres naturels de la Terre au point que notre passage, même bref, laissera sans doute une empreinte dans l’histoire géologique de notre planète.

L’Anthropocène serait donc une nouvelle période dans l’ère géologique quaternaire (Cénézoïque qui a débuté il y a 66 millions d’années) et succéderait à l’Holocène daté de seulement – 11 700 ans. Rappelons que l’Holocène est une période interglaciaire qui a été particulièrement propice à l’expansion des civilisations humaines.

Le terme Anthropocène fut proposé en 2000 par Paul J. Crutzen, prix Nobel en 1995 pour ses travaux sur la chimie de l’atmosphère et ses recherches sur l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique (le fameux « trou »), et par Eugene F. Stoermer dans une publication de l’International Geosphere-Biosphere Programme.
Mais le concept lui-même, l’idée que l’activité humaine affecte la Terre au point tel qu’elle puisse engendrer un nouvel âge, n’est pas nouveau et remonte à la fin du XIXe siècle. Différents termes furent ainsi proposés au cours des décennies, comme Anthropozoïque (Stoppani, 1873), Noosphère (de Chardin, 1922 ; Vernadsky, 1936), Érémozoïque (Wilson, 1992), Anthrocène (Revkin, 1992), etc. Il semble que le succès du terme choisit par Crutzen et Stoermer soit dû à la chance d’avoir été formulé au moment opportun, alors que l’Humanité prenait plus que jamais conscience de la profondeur des impacts qu’elle cause aux milieux planétaires. — Il est à noter qu’Edward O. Wilson (qui suggéra Érémozoïque, l’âge de la solitude ou « la vie seule ») popularisa les termes « biodiversité » et « biophilie ». Techniquement, l’Anthropocène est la période la plus récente du Quaternaire, succédant à l’Holocène (Globaia).

Le groupe de travail Anthropocène

L’acceptation d’une nouvelle ère géologique est étudiée par un groupe de recherche interdisciplinaire créé en 2009 dans le cadre de la Sous-commission sur la stratigraphie quaternaire, organe constitutif de la Commission internationale de stratigraphie. Il s’agit de l’Anthropocene Working Group (AWG) dont le professeur Zalasiewicz qui explique dans une étude publiée début 2021 : « Les plus grands changements de population, d’industrialisation, de mondialisation ont eu lieu avec la ‘Grande Accélération’, ce boom des années d’après-guerre du milieu du 20e siècle. Au cours de cette brève période – un peu moins d’une durée de vie humaine moyenne – l’humanité a brûlé plus d’énergie qu’au cours des 12 millénaires précédents.« . Cela a engendré des changements physiques, chimiques et biologiques sur Terre qui déstabilisent maintenant la biosphère et le climat, laissant des traces dans les couches modernes, y compris les plastiques, le béton et les os de poulet de supermarché qui justifient de considérer l’anthropocène en géologie, selon le chercheur.

« Il est tout à fait clair que l’échelle du changement s’est intensifiée de manière incroyable et que cela doit être l’impact humain« , a déclaré en juillet 2023, Colin Waters, géologue à l’Université de Leicester, qui a présidé le groupe de travail sur l’Anthropocène.

Ce groupe international de géologues travaille sur la date officielle de début de l’Anthropocène. C’est l’année 1950 – année de référence en géologie – qui a été choisie, en prenant pour référence les changements observés dès 1950 dans le lac Crawford (Canada).

Ce lac de 29 mètres de profondeur pour 24 000 mètres carrés, a été choisi car les effets annuels de l’activité humaine sur le sol, l’atmosphère et la biologie sont clairement préservés dans ses couches de sédiments. Cela inclut tout, de la retombée nucléaire à la pollution menaçant les espèces, en passant par l’augmentation constante des températures.
« Les effets des humains submergent le système terrestre« , a déclaré Francine McCarthy, membre du comité spécialisée dans ce site en tant que professeure de sciences de la Terre à l’Université Brock au Canada.

Les scientifiques proposent également une nouvelle ère, appelée Crawfordienne d’après le lac choisi comme point de départ. Suggestion qui doit encore être approuvée par trois groupes différents de géologues et pourrait être validée lors d’une grande conférence en 2024.

L’année 1950 est utilisée comme point de référence pour les méthodes de datation radiométrique, telles que la datation au carbone 14, qui permettent de déterminer l’âge des roches et des fossiles. Cette référence est utilisée car c’est à partir de l’année 1950 que la concentration de carbone 14 dans l’atmosphère terrestre a été largement affectée par les essais nucléaires atmosphériques, ce qui rend les calculs de datation plus complexes avant cette période. En utilisant cette année de référence, les scientifiques peuvent comparer et corréler les âges de divers échantillons géologiques.

Pourquoi peut-on parler d’une nouvelle ère géologique : l’Anthropocène ?

Comment un géologue du futur pourrait-il repérer l’Anthropocène dans les couches géologiques ?
Le rapport Planète Vivante 2016 du WWF nous fournit des indications : « Tout simplement grâce aux nombreux signes susceptibles de témoigner de l’influence humaine. À titre d’exemple, les vestiges de certaines mégapoles pourraient très bien évoluer en de complexes structures fossiles. L’urbanisation peut elle-même être vue comme une altération des processus sédimentaires du fait de la formation de strates rocheuses « artificielles ».

Anthropocène : pollutions et déchets

Les scientifiques évoquent aussi la possibilité de détecter tout un éventail de marqueurs potentiels, depuis les pesticides jusqu’à l’azote et au phosphore, en passant par les radionucléides (Waters et coll., 2016).

L’accumulation de particules plastiques dans les sédiments marins (Zalasiewicz et coll., 2016) pourrait être décelée dans de multiples roches.

En outre, un article publié en 2014 dans la revue de la Geological Society of America montre que de nouvelles « roches », non naturelles, ont fait leur apparition au sud de l’île d’Hawaï. Il s’agit de conglomérats de plastiques fondus (suite à leur combustion) mélangés avec des sédiments marins et des fragments de lave basaltique. Le nom de cette roche engendrée par nos activités : « plastiglomérat ».

Anthropocène : perte et changements dans la biodiversité

Il est également probable que le géologue en question constate un déclin rapide du nombre d’espèces à partir des indices présents dans le registre des fossiles (Ceballos et coll., 2015) alors que nous avons engendré une sixième extinction massive de la biodiversité. Les données actuellement disponibles sur ces types de changements laissent penser que l’Anthropocène a pu commencer au milieu du 20e siècle (Waters et coll., 2016). »

Les poissons d’eau douce, marqueurs du passage à l’Anthropocène

Depuis des millions d’années, les poissons d’eau douce évoluent isolément sur leurs continents respectifs, ne pouvant se déplacer d’un continent à l’autre via les océans. Des travaux réalisés par une équipe de recherche internationale incluant des scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle du laboratoire BOREA, du CNRS, et de l’IRD montrent que les sociétés humaines ont récemment changé ces règles instaurées il y a des millions d’années en déplaçant massivement les espèces hors de leurs aires natives et en les introduisant partout dans le monde.

En analysant les données de plus de 11 000 espèces de poissons d’eau douce réparties dans près de 3 000 bassins versants, les chercheurs ont pu comparer la « biogéographie » des poissons d’eau douce avant et après les introductions d’espèces exotiques dont l’Homme est responsable. Au total, 453 espèces de poissons d’eau douce ont été déplacées par les sociétés humaines, avec une accélération exponentielle des introductions depuis le milieu du XXème siècle.

Les chercheurs ont analysé comment ces introductions ont transformé les régions naturelles en « régions de l’Anthropocène ». À cause des déplacements d’espèces orchestrés par les sociétés humaines, quatre des six régions biogéographiques naturelles que sont l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Asie et l’Océanie ont fusionné en une seule grande région qui présente désormais une composition commune d’espèces. Cette super région « PAGNEA » (anagramme de la Pangée en anglais) illustre que les hommes recréent artificiellement les conditions de dispersion des espèces datant du super-continent de la Pangée, il y a plus de 200 millions d’années.

C’est la première démonstration à grande échelle des changements attendus dans les registres fossiles. La perche, la carpe commune, ou encore le tilapia seront les témoins, pour les générations futures, du passage à l’époque de l’Anthropocène.

Anthropocène : les essais nucléaires

Autre témoin de notre empreinte géologique : les retombées des essais nucléaires dans le Pacifique. Dans leur étude publiée en juillet 2022 dans Scientific Reports, le professeur Yusuke Yokoyama de l’Institut de recherche sur l’atmosphère et les océans de l’Université de Tokyo et ses collègues ont découvert que les essais des armes atomiques ont laissé des traces dans les sédiments océaniques et les squelettes de corail. Ces enregistrements montrent un changement clair de l’environnement océanique avant, pendant et après la période d’essais atomiques mondiaux, que les chercheurs ont définis comme marquant le début de l’Anthropocène.

« Bienvenue dans l’Anthropocène » : une vidéo pour mesurer notre impact

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous faisons partie d’une génération qui a la responsabilité de l’avenir même de nos civilisations. Nous pouvons encore réorienter nos choix vers un futur plus durable mais il faudra faire preuve de courage et d’inventivité. Voici le message de ce film de 3 minutes, diffusé à la veille de la conférence « Planet Under Pressure » qui a eu lieu fin mars 2012 à Londres.

Des images exceptionnelles des flux d’énergie (électricité, pipelines…), de communication (câbles sous-marins) et de transport (routes, voies ferrées, voies maritimes et trafic aérien) montrent la toile qui s’est tissée sur toute notre planète, depuis le début de la Révolution Industrielle, il y a 250 ans.. De plus, des données sont superposées sous forme d’un graphique, celles-ci montrent l’emballement de nos activités et de la croissance démographique à partir des années 1950.

© Globaia, Planet Under Pressure, SEI, SRC, CSIRO. Sous-titrage en français : notre-planete.info
Le film a été produit dans le cadre de l’ouverture du portail éducatif consacré à l’Anthropocène et aux sciences des changements globaux : Anthropocene.info


Illustration de l’Anthropocène
© Globaia.

« L’Anthropocène change notre relation avec la planète. Nous avons une responsabilité nouvelle et nous devons déterminer comment y répondre. » a déclaré Elinor Ostrom, prix nobel d’économie, Université d’Indiana.

L’Anthropocène : une nouvelle ère géologique encore contestée

La désignation de cette nouvelle ère géologique n’est pas bien accueillie par certains géologues qui s’accrochent aux règles rigoureuses utilisées pour dresser l’histoire de la Terre : « certains voudraient faire de l’anthropocène une ère géologique parce que l’influence de l’homme serait globale (…) La période anthropocène est définie comme due à l’homme, elle s’inscrit dans l’histoire de l’humanité, elle a sa place dans le calendrier de l’histoire humaine. Pourquoi vouloir en faire une ère géologique ? Ce serait à la fois inutile et inapproprié car elle n’en possède pas les caractères. » expliquait Patrick De Wever, Professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris dans le journal Le Monde en 2016.

Et pourtant, l’Homme a modifié le paysage et y a inscrit son empreinte comme jamais, avec autant de violence qu’un changement climatique majeur couplé d’une extinction massive du vivant.

Définir l’Anthropocène comme une époque géologique impliquerait normalement que l’Holocène soit une période « naturelle », marquée par l’histoire naturelle de la Terre, sans intervention humaine. Les activités humaines contemporaines peuvent être considérées comme intrinsèquement négatives, ignorant des millénaires de gestion des terres autochtones. Or, les données paléoécologiques nous montrent que l’humanité a toujours façonné les écosystèmes. Toutefois, considérer l’Anthropocène comme une ère géologique permet d’aller de l’avant : le problème n’est pas l’humain en lui-même, mais ses activités spécifiques, y compris des siècles d’extraction et d’exploitation des ressources naturelles.

Etudier l’Anthropocène pour résoudre « l’hypothèse du Silurien »

Et si une civilisation industrielle s’était développée sur Terre il y a plusieurs millions d’années ? Quelle trace aurait-elle laissé dans les couches géologiques ?
Une étude d’avril 2018 (Schmidt, G., & Frank, A. (2018). The Silurian hypothesis: Would it be possible to detect an industrial civilization in the geological record? – International Journal of Astrobiology, 1-9. doi:10.1017/S1473550418000095) souligne qu’il existe des similitudes incontestables entre les bouleversements actuels de l’Anthropocène et les témoins laissés par les évènements abrupts survenus il y a plusieurs millions d’années : changement climatique, perturbation du cycle de l’azote, du carbone, sédimentation, minéraux, extinction massive…

L’hypothèse de l’existence d’une civilisation avancée qui aurait disparu il y a plusieurs millions d’années porte le nom d' »hypothèse du Silurien » (période géologique de – 443,8 Ma à – 419,2 Ma) en référence à la série télévisée britannique « Doctor Who » (1963-1986) où le héros affronte des Silurians, anciens habitants de la Terre.

Cette hypothèse, qui peut sembler farfelue, est pourtant étudiée avec sérieux : quelle serait la durée de vie des matériaux et composés chimiques que nous avons créés et qui se retrouvent ensuite dans le sol ? Comment vont-ils évoluer et/ou persister ? Ces réponses pourraient bien permettre de faire toute la lumière sur d’éventuelles traces d’une ancienne civilisation.

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L’absence de fossiles n’est pas une preuve quant à la non existence d’une ancienne espèce intelligente. En effet, lorsque l’humanité aura disparu, nos ossements ne seront sans doute pas visibles dans les couches géologiques – vu le peu de temps que nous avons passé sur Terre et les conditions particulières qui permettent la fossilisation. A titre de comparaison, très peu de fossiles de dinosaures ont été découverts alors qu’ils ont foulé la Terre pendant près de 180 millions d’années… Tandis que l’humanité, pourrait ne pas survivre au XXIe siècle….


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