le Japon rejette plus d’un million de mètres cubes d’eau radioactive dans l’océan

Pour continuer de refroidir la centrale nucléaire défunte de Fukushima Daiichi, le Japon vient d’annoncer le rejet de plus d’un million de mètres cubes d’eau radioactive dans l’océan. Une décision controversée qui n’est pas sans risque pour la qualité des eaux de l’océan Pacifique Nord. Explications.

Le 11 mars 2011, un séisme exceptionnel engendrait un tsunami qui dévasta le nord de l’archipel japonais, entraînant des explosions en série dans la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi et un accident nucléaire majeur affectant plus de 30 millions de personnes.

Officiellement, l’accident nucléaire de Fukushima, est terminé depuis le 26 décembre 2011. Et pourtant, 12 ans plus tard, l’évacuation des eaux contaminées par les radiations restent un casse-tête pour les autorités qui viennent de prendre une décision controversée.

Depuis cette catastrophe nucléaire de niveau 7 (Accident majeur avec risque d’exposition étendue, niveau maximal sur l’échelle internationale des événements nucléaires) Tokyo Electric Power (TEPCO, l’exploitant de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, est notamment confronté au problème du refroidissement des cœurs des réacteurs accidentés. « Pour cela, chaque jour, plusieurs dizaines de m3 d’eau sont pulvérisées ou injectées dans chacun des réacteurs. Cette eau se contamine au contact des combustibles fondus, hautement radioactifs. Elle s’infiltre dans les sous-sols et se mélange aux eaux de la nappe phréatique. Afin de limiter ce flux souterrain qui s’écoule vers le Pacifique, des barrières artificielles (murs de congélation) essaient d’en empêcher la circulation, et un drainage est effectué au voisinage des réacteurs. Une proportion inconnue contamine cependant l’océan. Une partie de ces eaux est repompée, partiellement traitée puis stockée. Cela représente de grands volumes d’eau radioactive à gérer et TEPCO a engagé, depuis 2013, la construction et le remplissage de réservoirs d’entreposage. » explique l’association CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la RADioactivité) qui s’inquiétait déjà en mars 2020 du devenir d’environ 1 million de mètres cubes d’eau radioactive « stockée dans un millier de citernes sur le site de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima Daiichi, dont la capacité maximale de stockages sera atteinte en 2022. Officiellement, l’eau est traitée par l’opérateur japonais Tepco et il ne resterait que du tritium. Ce qui est faux. En 2018, Tepco avait d’ailleurs finalement reconnu la présence d’autres éléments radioactifs à des niveaux potentiellement nuisibles pour la santé. Il faut absolument un nouveau traitement de cette eau et un contrôle par un tiers. »

L’eau stockée peut avoir une radioactivité en tritium de 2,5 millions de Becquerels par litre (1 Bq = 1 désintégration radioactive par seconde). Ce niveau est 40 fois supérieur aux normes de rejets dans l’environnement au Japon. L’activité totale en tritium de l’eau des réservoirs est estimée à 856 TBq (données TEPCO).

Le problème de l’élimination de l’eau contaminée est examiné depuis 2013. De nombreuses options ont été proposées : la mélanger au ciment et la bétonner, séparer l’hydrogène par électrolyse, etc. Mais les autorités japonaises ont opté pour la plus simple : tout rejeter dans l’océan alors que le site n’a plus de place pour stocker l’eau contaminée. Une option d’ailleurs validée par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA).

Ainsi, « le 22 août 2023, le gouvernement japonais a tenu sa sixième réunion du Conseil interministériel concernant la mise en œuvre continue de la politique de base sur la gestion de l’eau traitée par le procédé ALPS, et il a été décidé de commencer le rejet de l’eau traitée par ALPS dans la mer », précise un communiqué de Tokyo Electric Power (TEPCO), le gestionnaire de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.

Le procédé ALPS (Advanced Liquid Processing System) est un système de traitement de l’eau radioactive utilisé dans le contexte de la gestion des déchets radioactifs dans les centrales nucléaires. Il a été développé au Japon, en réponse à l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, pour traiter l’eau contaminée qui s’accumule dans les installations nucléaires.

Une première étape a consisté à rejeter une quantité très limitée d’eau traitée par ALPS dans un puits vertical rempli d’eau de mer afin de vérifier que l’eau traitée par ALPS est diluée conformément au plan. Puis la deuxième étape, engagée depuis le 24 août 2023, consiste dans le rejet continu de 1,3 million de mètres cubes d’eau contenant du tritium dans l’océan !

Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène. Il est principalement produit de manière artificielle dans des réacteurs nucléaires, où le lithium est bombardé de neutrons pour produire du tritium. Le tritium a une demi-vie relativement courte d’environ 12,3 ans. Cela signifie que la moitié des atomes de tritium présents dans un échantillon donné se désintégrera en hélium-3 au bout de cette période.

Le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, a confirmé le projet de Tokyo Electric Power (TEPCO) de déverser 1,3 million de mètres cubes d’eau contenant du tritium, soit l’équivalent du volume d’environ 500 piscines olympiques.

Mais cette eau radioactive ne contient pas seulement du tritium : bien que la plupart des radionucléides présents dans l’eau aient été traités par ALPS, l’eau contient également du carbone-14 (demi-vie de 5730 ans), du ruthénium-106 (demi-vie de 373,59 jours), du cobalt-60 (demi-vie de 5,26 ans), du strontium-90 (demi-vie de 28,79 ans), du technétium-99 (demi-vie de 6 h), etc. Ces radionucléides vont contaminer les écosystèmes marins et représenter une menace pour la santé humaine (Eyrolle et al., 2018 ; Buesseler, 2020 ; Shozugawa et al., 2020).

Rejet d’eau radioactive en mer : quelles conséquences ?

Les autorités japonaises, l’AIEA et TEPCO assurent que la dilution de cette eau radioactive dans l’océan la rend non dangereuse. En France, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) banalise également cette opération en citant en référence les rejets d’autres sites dans le monde, comme celui de La Hague, en France : « La quantité de tritium à rejeter, sur plusieurs années, est inférieure à la valeur limite du rejet autorisé chaque année de cet élément radioactif par l’usine de La Hague », précisait en septembre 2019 Thierry Charles, directeur général adjoint de l’IRSN, dans le Figaro.
« Mais prendre comme référence une des installations nucléaires parmi les plus polluantes au monde, relève de la manipulation ! » dénonce la CRIIRAD qui rappelle que « l’usine de La Hague rejette légalement dans le milieu marin, à elle seule, autant d’éléments radioactifs que toutes les installations nucléaires du monde » !

Dans tous les cas, cette opération suscite de vives critiques de la part des riverains, des pêcheurs, des associations de défense de l’environnement mais aussi des pays voisins comme la Corée du Sud et la Chine. Ce dernier pays a d’ailleurs cessé d’importer du poisson du Japon par crainte de risques sanitaires.

Une étude publiée en 2021 dans Marine Pollution Bulletin a simulé le rejet dans l’océan de 1,2 million de mètres cubes d’eau contenant du tritium. Selon que l’eau contaminée est déversée rapidement ou non (en 1 mois, 1 an, 5 ans ou 10 ans), celle-ci se répand plus ou moins loin dans l’océan Pacifique Nord.

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Concentrations simulées de tritium dans l’eau de surface de la mer dans deux scénarios : rejets en un mois (a1–a4) et rejets en un an (b1–b4)
© Chang Zhao et al, Marine Pollution Bulletin, 2021 – Licence : CC BY-NC-ND

Pour les scénarios de libération à courte durée (en un mois ou en un an), la zone potentiellement polluée et sa concentration restent quasiment identiques. En 5 ans, le cœur de la zone polluée par le tritium atteint le littoral de l’Amérique du Nord, puis les eaux contaminées se répandent dans presque tout le Pacifique Nord. 10 ans plus tard, les eaux contaminées avec une concentration de tritium supérieure à 0,001 Bq/m3 polluent l’ensemble de la mer de Chine méridionale et les mers indonésiennes, et pourraient même s’étendre vers l’hémisphère sud…
Quelque soit le scénario, tout le Pacifique Nord finit par être contaminé.

De plus, la contamination n’est pas seulement horizontale mais aussi verticale ! Dans les quatre scénarios, les plus fortes concentrations de radioactivité (concentration en tritium supérieur à 1 Bq/m3) atteignent rapidement les 600 premiers mètres de profondeurs. Puis, dans les 2 à 10 années suivantes, celles-ci pénètrent progressivement pénétré les couches océaniques les plus profondes, jusqu’à 1 000 mètres de profondeur…

Rejeter directement de l’eau radioactive dans l’océan rappelle l’origine de la célèbre créature monstrueuse Godzilla, née des inquiétudes suscitées au Japon par les conséquences des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que par les essais nucléaires américains dans le Pacifique, en particulier le test du Castle Bravo en 1954. Le film original de Godzilla de 1954 présente Godzilla comme une créature préhistorique gigantesque qui a été réveillée et mutée par les radiations nucléaires provenant des activités humaines… Qui sait quelles modifications sur le vivant cette pollution massive et durable va-t-elle entraîner ?


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