naissance de l’inquiétant volcan sous-marin Fani Maoré

57 K lectures / 4 réactions Mis à jour le

naissance-volcan-Mayotte
Vue vers Mayotte de la ride volcanique et des nombreux édifices qui la composent. Le nouveau volcan est indiqué par une flèche
Auteur : Campagne MAYOBS – Licence : DR

La succession d’épisodes sismiques à l’Est de Mayotte dans l’océan Indien, s’explique par la naissance d’un volcan sous-marin qui a engendré la plus importante éruption sous-marine jamais enregistrée. Cette éruption volcanique exceptionnelle de ampleur est suivie par les scientifiques afin d’éclairer les décideurs sur les dispositions à prendre pour protéger les populations environnantes.

C’est à seulement 50 km à l’est de l’île de Mayotte, située au nord du canal du Mozambique, entre Madagascar et les Comores, dans l’océan Indien, qu’un nouveau volcan a été détecté à 3 500 mètres de profondeur.

Depuis le 10 mai 2018, les tremblements de terre se succèdent dans la région habituellement calme de l’île de Mayotte : plusieurs milliers de séismes ont été enregistrés par le réseau sismologique à terre (RESIF, RENASS, BRGM) dont plusieurs centaines ont été ressentis par la population. Le plus gros séisme d’une magnitude de 5,8 a eu lieu le 15 mai 2018 et a fortement inquiété la population mahoraise. Le 14 mai 2019, un séisme de magnitude 5 a frappé l’est de Mayotte.

Dès janvier 2018, les scientifiques ont également détecté des centaines de signaux sismologiques d’un type plus rare : des ondes monochromatiques (c’est à dire des ondes dont les oscillations sont toutes à une seule fréquence, ici 15.5 s), d’une durée de 20 à 30 minutes, appelées signaux très longue période (VLP pour very low period), généralement associés à la résonance de structures volcaniques. L’énergie générée par les plus importants VLPs est considérable (équivalent à l’énergie libérée par un séisme de magnitude 5), générant des ondes de surface détectées partout sur Terre. C’est une observation inédite en sismologie.

Autre signe inquiétant, entre juillet 2018 et début 2022 : les données GPS montrent que l’île s’est déplacée vers l’est de 20 à 23 cm et s’est enfoncée de 9 à 17 cm, en fonction de la localisation, « ce qui est considérable en si peu de temps », précise l’Institut de physique du globe.

Naissance du volcan sous-marin Fani Maoré

Des modèles de déformation préliminaires suggèrent que la source de ce phénomène soit la déflation (le vidage) d’une poche de magma très volumineuse, à 20- 30 km de profondeur, à l’est de l’île (Cesca et al., 2020; Lemoine et al., accepted; Feuillet et al., in rev.)

Notons également qu’a partir de fin 2018, les pêcheurs de la région remontaient dans leurs filets des poissons morts et brûlés.

Pour mieux comprendre et anticiper l’arrivée probable d’un « épisode magmatique d’une très grande ampleur » sans équivalent depuis 250 ans, le gouvernement français a mobilisé, en juin 2018, le Comité national de la recherche scientifique (CNRS), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), l’université de la Réunion, l’Institut de physique du globe de Strasbourg (IPGS), l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), l’École normale supérieure (ENS), le Centre nationale d’études spatiales (CNES) et le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM).
Depuis le début de la crise, 5 campagnes océanographiques (MAYOBS 1, 2, 3, 4 par le navire Marion Dufresne, et SHOM-MAYOBS 5 par le navire Beautemps-Beaupré) ont été menées.

Ces observations terrestres et océaniques ont permis de mettre en évidence la naissance d’un nouveau volcan sous-marin, à 50 km à l’est de Petite-Terre.

Un certain nombre d’instruments ont été déployés pour localiser précisément l’origine de l’essaim sismique. Ainsi, trois nouvelles stations sismologiques ainsi que des GPS des réseaux mobiles de l’INSU ont été installés à Mayotte en mars 2019 par le BRGM et l’IPGS.

Une équipe internationale de scientifiques dirigée par Simone Cesca du Centre allemand de recherche en géosciences (GFZ), en collaboration avec l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS/CNES/UT3 Paul Sabatier) a réussi a reconstruire les différents processus de la mise en place du volcan au large de Mayotte et du drainage d’un réservoir très profond, à environ 30 km de profondeur. Ce nouveau volcan a été nommé Fani Maoré.

La plus grande éruption sous-marine jamais enregistrée

Il s’agit de la plus grande éruption sous-marine jamais enregistrée à ce jour. « En l’état actuel des connaissances, le nouveau site éruptif a produit au moins 5,1 km3 de lave depuis le début de son édification. Sur une période de 11 mois (de juillet 2018 – début des déformations de surface enregistrées à Mayotte – à juin 2019), le flux éruptif de lave est au minimum d’environ 150-200 m3/s » (de quoi remplir une piscine olympique en seulement 20 secondes), précise le bulletin de décembre 2019 du ReVoSiMa qui ajoute : « Ces volumes et flux éruptifs, notamment au début de la crise, sont exceptionnels et sont, malgré les incertitudes, parmi les plus élevés observés sur un volcan effusif depuis l’éruption du Laki (Islande) en 1783 dont le flux moyen éruptif avait été estimé à 694 m3/s sur 245 jours d’éruption (Thordarson et Self, 1993). »

En réponse à cette crise volcanologique inédite et exceptionnelle, une nouvelle structure, ReVoSiMa (Réseau de surveillance Volcanologique et Sismologique de Mayotte) a été créée pour suivre l’évolution de la sismicité et des déformations de l’île, de manière continue sur Terre mais seulement épisodique en mer.

Situé à 3 500 m de profondeur, ce système volcanique mesure déjà 800 m de haut avec une base de 5 km de diamètre.

Les campagnes océanographiques successives ont confirmé l’activité volcanique sous-marine importante : des panaches accoustiques importants ont été détectés au-dessus du nouveau volcan. Actuellement, 5 panaches accoustiques sont actifs dont deux nouveaux avec une hauteur moyenne de 1 000 m.

En outre, la population de Petite-Terre a constaté des émanations de gaz sur le littoral, un signe habituel rencontré dans ce type d’activité volcanique.

D’après le bulletin ReVoSiMa de début 2024, l’activité sismique perdure avec plus de 600 tremblements de terre enregistrés pour le mois de janvier, principalement à 5-15 km à l’est de Petite-Terre et à des profondeurs de 20-50 km. Cependant, l’activité volcanique sous-marine est probablement terminée. « Aucune hypothèse n’est pour l’instant écartée quant à l’évolution de la situation à venir (arrêt définitif, reprise de l’activité éruptive sur le même site, reprise de l’activité éruptive sur un autre site), compte tenu de l’activité sismique persistante et d’émissions de fluides localisées dans la zone du Fer à Cheval qui étaient toujours présentes lors de la dernière campagne en mer MAYOBS22 réalisée en juillet 2022 » précise le bulletin.

Naissance d’un volcan : suivre et anticiper le risque

Il s’agit maintenant de suivre et d’anticiper le développement de ce volcan. Ainsi, les scientifiques sont mobilisés pour traiter, analyser et interpréter la multitude de données acquises durant ces derniers mois. Cette exploitation nécessitera des travaux approfondis pour évaluer les risques induits pour Mayotte en matière de risque sismique, risque volcanique et de tsunami, notamment suite à un risque d’effondrement du réservoir.

Le projet MARMOR propose de construire au large de l’île des infrastructures et des équipements pour étudier et prédire ces aléas et mieux répondre aux défis liés à la gestion des risques. Ainsi, « l’objectif du projet Marmor est de progresser dans l’étude de la déformation du sol, de la sismicité, des tsunamis, du volcanisme et de plusieurs problèmes environnementaux clés dans les zones océaniques et côtières, en étendant les capacités d’observations terrestres dans le domaine marin. Le projet vise à mettre en place un observatoire permanent de fond de mer relié à la terre par un câble sous-marin et un parc d’instrumentation géophysique en profondeur, pour assurer des observations en temps réel et sur le long terme », précise le CNRS.

La naissance d’un volcan sous-marin est un phénomène peu observé, aussi spectaculaire que dangereux.


CC BY-NC-SA Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions

Ne ratez plus l’actualité sur notre planète !


Source link

Pour marque-pages : Permaliens.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *