quelles émissions de CO2 et consommation d’énergie ?

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© mohamed_hassan / Pixabay – Licence : Pixabay

La dématérialisation des données nous permet maintenant de télécharger films, vidéos, jeux et musique sur notre smartphone ou ordinateur et d’en profiter quasi instantanément. Un confort qui se voudrait plus écologique que l’achat d’un support, et pourtant, le streaming, qui captera bientôt 80 % du trafic web mondial commence à peser lourd pour l’environnement.

L’époque des supports CD / DVD ou Blu-ray est quasi terminée : on peut désormais tout voir et écouter en se connectant sur Internet. Avec la généralisation des connexions haut débit et du réseau 4G (en attendant la démocratisation de la 5G très controversée), il est maintenant possible de profiter de ses séries et musiques préférées en streaming, c’est à dire en lecture et téléchargement continus de sorte que nous n’avons plus besoin d’attendre de longues minutes ou heures que tout soit téléchargé sur notre client.

Autrefois anecdotiques, les services basés sur le streaming sont devenus des géants : Netflix, Amazon, Molotov, Youtube, Soundcloud… En effet, le streaming permet maintenant à tout détenteur d’un smartphone et d’un forfait adapté de regarder la télé, des films et écouter de la musique n’importe quand et presque n’importe où.

Si un tel usage a considérablement diminué la fabrication des anciens supports (en plastique), ce qui est bien pour l’environnement, il a littéralement fait exploser la demande car nous ne sommes plus limités par un support matériel.

Dans une étude de l’Université de Glasgow publiée en avril 2019, Kyle Devine et Matt Brennan ont estimé que 58 000 tonnes de plastique avaient été produits en 1977 aux Etats-Unis pour fabriquer des disques vinyles. En 1988, lors du pic de vente des cassettes audio, c’était 56 000 tonnes de plastique et en 2000 (pic de vente de CD), 61 000 tonnes.
Avec l’apparition des musiques numériques à télécharger, la fabrication de plastique pour la musique a considérablement diminué aux US avec seulement 8 000 tonnes de plastique produits en 2016.

Prenons l’exemple de Spotify, un service de streaming audio qui compte plus de 600 millions d’utilisateurs actifs par mois en 2024 ! C’est trois fois plus qu’en 2018 alors que la pression était déjà suffisamment importante pour obliger Spotify a migrer toutes ses données vers les serveurs de Google qui sont répartis un peu partout dans le monde.

Toutes ces données nécessitent d’importantes infrastructures de stockage informatique, d’équipements réseaux : serveurs, câblage, connectique, switchs, routeurs, pare-feux… Mais aussi électriques (souvent redondants) et de refroidissement car les ordinateurs chauffent beaucoup. Ainsi, derrière une simple musique que vous écoutez en streaming, c’est tout un ensemble de technologies et d’énergie qui sont mobilisés.

En 2023, le secteur informatique représentait environ 10 % de la consommation mondiale d’électricité contre 7 % en 2016 (ADEME). Elle devrait passer à 20 % en 2030 selon une étude publiée dans Challenges en 2015.

En 2023, le streaming vidéo représente environ 80 % du trafic web mondial. Après l’indignation de Greenpeace en 2017, depuis 2019, 100 % de l’énergie utilisée par NetFlix est d’origine renouvelable.

En 2015, seulement 17 % de l’énergie utilisée par Netflix était d’origine renouvelable. Une partie importante (à hauteur de 30 %) de l’énergie que l’entreprise utilise est issue du charbon, selon Greenpeace. Depuis 2019, 100 % de son énergie est d’origine renouvelable.

En France, la consommation de données mobiles 4G augmente de près de 30 % par an, principalement à cause du streaming vidéo qui représente environ 60 % du trafic en France !

Netflix est-il vraiment un gouffre énergétique ?

Selon une analyse réalisée en mars 2020 par SaveonEnergy, l’énergie nécessaire aux 64 millions de vues de la saison 3 de la série « Stranger Things » – diffusée par Netflix – a émis 189 000 tonnes de CO2, ce qui équivaut à 676 millions de km parcourus en voiture !

Toutefois, Netflix – qui s’appuie sur l’infrastructure d’Amazon Web Services (AWS) – se défend de contribuer massivement aux émissions de gaz à de serre. Selon son étude publiée en 2015, un client Netflix aurait une empreinte carbone de seulement 300 g de CO2 / an et ajoute que ses infrastructures émettent 0,5 g de CO2 équivalent pour une heure de streaming. Et s’en amuse : « En moyenne la respiration humaine émet environ 40 g par heure, près de 100 fois plus. Rester immobile en regardant Netflix économise probablement plus de CO2 que Netflix n’en brûle. » L’occasion de rappeler que la sédentarité est mauvaise pour la santé.

Difficile d’y voir clair : quelques analyses ont tenté d’estimer l’équivalent carbone d’un streaming de 30 minutes provenant de Netflix et les écarts dans les résultats sont considérables : de 197 gCO2e pour le think thank Shift Project à 18 gCO2e selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) dans une note publiée sur Carbon Brief, en passant par 3 800 gCO2e selon l’étude de Marks et al. (2020).

Le récent et détaillé rapport 2021 de Carbon Trust « Carbon impact of video streaming » éclaire nos lanternes en concluant que de regarder une heure de streaming en Europe émet 56 gCO2e.


Contribution des sources aux émissions de CO2 et à la consommation électrique pour une heure de streaming en Europe. Données : Carbon Trust 2021
SourceEmissions de CO2 (équivalent CO2)Energie consommée
Data Center1 gCO2e1 Wh
Réseau de transmission6 gCO2e20 Wh
Box logement21 gCO2e71 Wh
Client final28 gCO2e (25 g écran + 3 g périphériques)96 Wh (86 Wh écran + 10 Wh périphériques)
TOTAL56 gCO2e188 Wh

Ce tableau montre que près de 90 % des émissions de CO2 et de l’énergie consommée pour regarder une heure de streaming proviennent des équipements de l’utilisateur final. A noter que les émissions de CO2 et la consommation d’énergie sont bien plus faibles sur des smartphones que sur des écrans TV.

Cette moyenne européenne de 56 gCO2e masque des disparités en fonction de la source d’énergie utilisée pour produire de l’électricité. En effet, une heure de streaming alimentée par des centrales thermiques n’aura évidemment pas le même impact qu’une source d’énergie renouvelable ou nucléaire.


Emissions de CO2 pour une heure de streaming suivant les pays d’Europe. Données : Carbon Trust 2021
PaysEmissions de CO2 (équivalent CO2)
Suède3 gCO2e
France10 gCO2e
Grande Bretagne48 gCO2e
Alllemagne76 gCO2e
Europe56 gCO2e

Au final, en Europe, regarder un streaming d’une heure équivaut à conduire 430 mètres en voiture[1] et c’est même environ 75 mètres en France où l’électricité est fortement décarbonée avec le nucléaire.
Cela reste donc très modeste mais c’est la multiplication des consommateurs qui pose souci : en 2023, le nombre d’abonnements Netflix a dépassé les 230 millions (+ 38 % par rapport à 2019) avec une consommation d’électricité estimée à 36,5 TWh en 2019 par The Shift Project.

Le secteur du numérique est à l’origine d’environ 4,5 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde en 2023 et de 5,3 % de la consommation mondiale d’énergie primaire. 44 % de cette empreinte serait due à la fabrication des terminaux, des centres informatiques et des réseaux et 56 % à leur utilisation.

En France, la croissance des émissions de GES du numérique en France est plus rapide que la moyenne mondiale avec environ 20 MtCO2eq d’émissions en 2023, soit 4,55 % du total des émissions. Si aucune mesure n’est prise, le numérique pourrait représenter jusqu’à 34 MtCO2eq d’ici 2040, soit 9 % des émissions totales de GES en France.

Si l’on reprend l’étude de Kyle Devine et Matt Brennan, la production de plastique pour l’industrie musicale américaine représentait l’émission de 140 000 t de gaz à effet de serre en 1977, 136 000 t en 1988 et 157 000 t en 2000. Les scientifiques évaluent les émissions actuelles de gaz à effet de serre (stockage et transmission des fichiers numériques) entre 200 000 t et 350 000 tonnes juste pour les USA.

Au final, est-il plus écologique de posséder un fichier sur son ordinateur / smartphone ou d’en profiter en streaming ? Si pour la musique nous avons le choix, c’est plus compliqué en ce qui concerne les films, si l’on veut rester dans la légalité.
La réponse dépend de nombreux facteurs dont la consommation énergétique de l’appareil qui lit le fichier (un smartphone consomme en lecture beaucoup moins qu’un ordinateur), et si vous en changez régulièrement, peut-être à cause de l’obsolescence programmée. Il faut aussi tenir compte du type de connexion : un smartphone connecté en Wifi consommera moins que si il est connecté en 4G ou 5G.

Il faut également considérer le nombre de fois que l’on écoute un morceau de musique : si vous écoutez 10 ou 1 000 fois un fichier déjà présent sur ordinateur ou un smartphone, cela aura peu de conséquences. Par contre, si vous charger 1 000 fois un fichier en streaming, c’est significatif en terme de consommation énergétique et d’émissions de gaz à effet de serre, surtout si le service de streaming se fournit en électricité issue de combustibles fossiles.

Et la responsabilité du reste du web ?

Surfer sur le web, lire et envoyer ses mails[2] contribue également à l’émission de gaz à effet de serre, pas seulement à cause des centres de données mais aussi à cause de la conception des sites web, des habitudes des internautes et de la publicité.

Google reconnaît qu’une simple requête sur son moteur de recherche nécessite autant d’énergie qu’une lampe de 60 watts allumée pendant 17 secondes et émet 0,2 grammes de CO2. Cela semble peu mais il est effectué plus de 63 300 requêtes par seconde sur ce moteur de recherche… Autrement dit, toutes les 1 mn 20 s, une tonne de CO2 est émise, l’équivalent d’un aller-retour Paris-New-York en avion.

Au final, les data center consomment environ 2 % de l’électricité dans le monde. Cela représente environ 1 000 TWh d’électricité, soit l’équivalent de la consommation électrique annuelle de la France et de l’Allemagne réunies. Et ils émettent plus de CO2 que le trafic aérien (environ 3 % des émissions de gaz à effet de serre). Bien sûr, les grandes entreprises qui possèdent des data center (Equinix, Digital Realty, NTT Global Data Centers, CyrusOne, GDS Holdings…) font des efforts pour compenser leurs émissions ou exploiter des sources d’énergies renouvelables comme Google qui a annoncé dès 2017 que 100 % de son électricité provenait d’énergies renouvelables tout en présentant un bilan carbone neutre. Citons également Amazon qui a lancé 39 nouveaux projets d’énergie renouvelable en Europe en 2023 et rendu possibles plus de 160 projets éoliens et solaires dans 13 pays d’Europe. Au total, ces projets devraient fournir 5,8 GW d’énergie, soit l’équivalent de la consommation d’électricité de plus de 3,2 millions de foyers européens sur un an.

Autre grand consommateur d’énergie : les cryptomonnaies en plein essor…

Il n’est pas évident de tirer une conclusion lapidaire sur le sujet du streaming et de sa consommation d’énergie, il nous semble qu’être plus que raisonnable dans notre consommation de services en streaming soit la meilleure option. Si une musique vous plaît, il est plus responsable de l’acheter et de la stocker sur vos équipements informatiques, vous soutiendrez également leur auteur.
Maintenant, doit-on passer une trop grande partie de son temps libre devant un écran ou avec des écouteurs qui nous coupent du monde alors qu’il y a tant à découvrir et faire dehors ? C’est finalement ça le vrai sujet.

Notes

  1. Vu que l’âge moyen du parc automobile en France est de 10 ans (CCFA), nous considérons qu’une voiture française émet en moyenne 130 gCO2 par km (ADEME)
  2. Envoyer un mail avec une pièce jointe émet 35g de CO2e (ADEME, 2022)

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