🌳 L’Europe Ă©tait recouverte de forĂȘts avant l’arrivĂ©e de l’Homme moderne ?

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Les grands animaux, comme les Ă©lĂ©phants sur l’illustration, ont probablement contribuĂ© Ă  maintenir une partie du paysage europĂ©en ouvert ou semi-ouvert pendant la derniĂšre pĂ©riode interglaciaire. Cela a crĂ©Ă© une diversitĂ© dans la vĂ©gĂ©tation et la faune.
© Brennan Stokkerman – Licence : Tous droits rĂ©servĂ©s

Sans l’intervention de l’Homme dans le paysage, la nature serait constituĂ©e d’une forĂȘt dense comme en tĂ©moignent les paysages passĂ©s. Une idĂ©e reçue brandie par les Ă©leveurs et les chasseurs qui est entiĂšrement remise en question par une Ă©tude sur la vĂ©gĂ©tation qui prĂ©valait il y a lus de 100 000 ans en Europe

Il est communĂ©ment rabĂąchĂ© que sans l’intervention de l’Homme dans la nature, les paysages des pays europĂ©ens seraient complĂštement fermĂ©s par la vĂ©gĂ©tation, c’est Ă  dire recouverts de forĂȘts denses laissant peu de place aux animaux qui s’Ă©mancipent dans les prairies. Autrement dit, qu’en dehors des Ăšres glaciaires (caractĂ©risĂ©es par des paysages polaires) et avant l’arrivĂ©e de l’Homme moderne, l’Europe Ă©tait principalement recouverte d’une forĂȘt dense… Mais de nouveaux travaux nuancent trĂšs fortement ce tableau qui enivre tant les partisans de l’Ă©levage et de la chasse.

L’Homme moderne (Homo sapiens) est apparu en Afrique il y a environ 300 000 ans et pĂ©nĂštre en Europe il y a environ 45 000 ans.

Dans les manuels scolaires, on nous fait croire que nos ancĂȘtres ont abattu des forĂȘts entiĂšres et assĂ©chĂ© les zones marĂ©cageuses, transformant une nature impĂ©nĂ©trable en territoires accueillants pour les sociĂ©tĂ©s humaines avec des paysages variĂ©s de prairies et de landes qui n’existaient pas auparavant.

Or, les nouvelles recherches de l’UniversitĂ© d’Aarhus montrent que ce n’est pas exact. « La nature pendant la derniĂšre pĂ©riode interglaciaire – une pĂ©riode au climat doux similaire Ă  celui d’aujourd’hui, mais avant l’arrivĂ©e des ĂȘtres humains modernes – Ă©tait pleine de diversitĂ©. Principalement, les paysages abritaient de grandes quantitĂ©s de vĂ©gĂ©tation ouverte et semi-ouverte avec des arbustes, des arbres exigeant beaucoup de lumiĂšre et des herbes aux cĂŽtĂ©s de peuplements d’arbres d’ombre de grande taille. » dĂ©crit le professeur Jens-Christian Svenning, co-auteur de l’Ă©tude.

Actuellement, nous sommes dans une pĂ©riode interglaciaire, appelĂ©e HolocĂšne, qui a dĂ©butĂ© il y a environ 11 700 ans, suite Ă  la glaciation vistulienne (Weichselian glaciation) dans le nord de l’Europe qui a durĂ© plus de 100 000 ans ! La prochaine Ăšre glaciaire devrait survenir dans quelques milliers d’annĂ©es (c’est Ă  dire trĂšs bientĂŽt au niveau gĂ©ologique).

Le pollen pour reconstituer les paysages d’il y a 100 000 ans

Ce sont les Ă©chantillons de pollens anciens qui ont aidĂ© l’Ă©quipe de recherche Ă  identifier les plantes qui poussaient il y a plus de 100 000 ans lors de la derniĂšre pĂ©riode interglaciaire.

« Les arbres qui font de l’ombre et de grande taille comme l’Ă©pinette, le tilleul, le hĂȘtre et le charme sont plus prĂ©sents dans les forĂȘts denses. Cependant, les rĂ©sultats montrent que le noisetier couvrait souvent de vastes Ă©tendues de paysages. Le noisetier est un arbuste qui ne pousse pas en grande quantitĂ© en forĂȘt dense« , explique Jens-Christian Svenning.

En effet, dans le monde vĂ©gĂ©tal, la concurrence pour la lumiĂšre du soleil est fĂ©roce. Les arbres qui atteignent la plus grande hauteur avec leur cime capturent le plus de lumiĂšre du soleil et empĂȘchent les autres arbres de pousser. Ainsi, dans les forĂȘts de hĂȘtres, les arbres prennent presque toute la lumiĂšre du soleil. Cela signifie que d’autres arbres plus petits et arbustes, tels que le noisetier, ne peuvent pas pousser dans une forĂȘt de hĂȘtres. Or, les noisetiers Ă©taient trĂšs nombreux dans les analyses d’Ă©chantillons de pollen.
« Le noisetier prospĂšre dans les champs ouverts et dans les forĂȘts ouvertes ou perturbĂ©es, et tolĂšre les perturbations causĂ©es par de grands animaux. Alors que des espĂšces comme le hĂȘtre et l’Ă©pinette sont souvent gravement endommagĂ©es ou tuĂ©es par la coupe ou le broutage, le noisetier peut s’en sortir sans problĂšmes. MĂȘme si vous coupez un noisetier, il produira toujours beaucoup de nouvelles pousses« , ajoute le scientifique.

Le noisetier (Corylus) est une essence de bois qui a Ă©tĂ© trĂšs utilisĂ©e par les Hommes prĂ©historiques : outils, armes, artisanat, mĂ©decine…

Au final, selon les calculs de la nouvelle Ă©tude, entre 50 et 75 % du paysage Ă©tait couvert de vĂ©gĂ©tation ouverte ou semi-ouverte. La forĂȘt n’Ă©tait donc pas la rĂšgle mais plutĂŽt l’exception…

Comment expliquer la présence de paysages ouverts sans intervention humaine ?

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En l’absence de grands mammifĂšres sauvages, l’Ă©levage permet de maintenir des paysages ouverts propices aux grands oiseaux migrateurs. Ici une prairie humide en Charente-Maritime (France)
© Christophe Magdelaine / www.notre-planete.info – Licence : Tous droits rĂ©servĂ©s

En l’absence d’activitĂ©s humaines consĂ©quentes, ce sont les grands animaux (mammifĂšres) qui ont maintenu les paysages ouverts. « Nous savons qu’Ă  cette Ă©poque, de nombreux grands animaux vivaient en Europe. Aurochs, chevaux, bisons, Ă©lĂ©phants et rhinocĂ©ros. Ils devaient consommer d’Ă©normes quantitĂ©s de biomasse vĂ©gĂ©tale et avaient ainsi la capacitĂ© de limiter la croissance des arbres (…) Bien sĂ»r, il est Ă©galement probable que d’autres facteurs tels que les inondations et les incendies de forĂȘt aient Ă©galement jouĂ© un rĂŽle. Mais il n’y a aucune preuve suggĂ©rant que cela a causĂ© suffisamment de perturbations. Par exemple, les incendies de forĂȘt favorisent les pins, mais la plupart du temps, nous n’avons pas trouvĂ© le pin comme espĂšce dominante.« 

Pour renforcer leur dĂ©monstration, les chercheurs se basent Ă©galement sur les paysages actuels comme ceux façonnĂ©s par les bisons en AmĂ©rique du Nord et dans les rĂ©gions europĂ©ennes oĂč ils sont toujours prĂ©sents.

Le bison europĂ©en ou bison d’Europe (Bison bonasus), a failli disparaitre Ă  l’Ă©tat sauvage. Il fait l’objet de programmes de rĂ©introduction et de conservation en Pologne, BiĂ©lorussie, Russie, Slovaquie et Ukraine.

Et il ne fait aucun doute qu’un grand nombre d’animaux herbivores de grande taille peuplaient l’Europe il y a plus de 100 000 ans. Cela se confirme notamment dans l’analyse des fossiles de colĂ©optĂšres.
« Nous avons examinĂ© plusieurs dĂ©couvertes de fossiles de colĂ©optĂšres de cette Ă©poque au Royaume-Uni. Bien qu’il existe des espĂšces de colĂ©optĂšres qui prospĂšrent dans des forĂȘts avec des incendies frĂ©quents, nous n’en avons trouvĂ© aucune dans les donnĂ©es fossiles. Au lieu de cela, nous avons trouvĂ© de grandes quantitĂ©s de colĂ©optĂšres coprophages, ce qui montre que certaines parties du paysage Ă©taient densĂ©ment peuplĂ©es par de grands herbivores« , prĂ©cise Jens-Christian Svenning.
Autrement dit, la présence de nombreux coléoptÚres coprophages (qui se nourrissent des excréments des grands animaux) est forcément lié à la présence de nombreux grands mammifÚres.

Une autre Ă©tude menĂ©e en Pologne renforce davantage cette thĂ©orie, explique Jens-Christian Svenning. « En Pologne, des chercheurs ont examinĂ© de plus prĂšs des fossiles du rhinocĂ©ros de Merck pour voir de quoi se nourrissait cet animal de grande taille. Ils ont trouvĂ© des restes de pollen et de branchages entre ses dents, et lorsqu’ils les ont analysĂ©s, ils ont pu constater qu’une grande quantitĂ© provenait du noisetier« , dit-il, et poursuit : « Ainsi, le rhinocĂ©ros a marchĂ© en mangeant des branches et des feuilles d’arbustes de noisetiers. Cela confirme la thĂ©orie selon laquelle les grands animaux ont influencĂ© la vĂ©gĂ©tation (…) En mĂȘme temps, les marques sur ses dents suggĂšrent qu’il a beaucoup broutĂ© d’herbes et de carex tout au long de sa vie.« , preuve qu’il y avait aussi des prairies.

Des résultats qui soutiennent le réensauvagement

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Bisons d’Europe
© Krzysztof – Licence : Pixabay

Ces recherches ajoutent un prĂ©cieux argument Ă  l’intĂ©rĂȘt du rĂ©ensauvagement (rewilding), c’est Ă  dire Ă  laisser la nature reprendre ses droits tout en rĂ©introduisant des grands mammifĂšres pour maintenir les paysages, comme avant.

Contrairement aux propos de certains chasseurs, Ă©leveurs et de certains gestionnaires des territoires, la nature n’a jamais eu besoin des activitĂ©s humaines pour s’Ă©panouir, bien au contraire !

A ce titre, l’Ă©levage extensif est souvent prĂ©sentĂ© comme vertueux car il permet de maintenir des paysages ouverts, favorables aux oiseaux migrateurs, grĂące aux animaux qui broutent, mais des grands mammifĂšres sauvages peuvent tout aussi bien le faire, sans que cela ne les conduise Ă  l’abattoir…

Non seulement il faut rĂ©viser les manuels scolaires mais il faut Ă©galement soutenir le rĂ©ensauvagement qui consiste donc Ă  restaurer des Ă©cosystĂšmes autogĂ©rĂ©s et riches en biodiversitĂ© via le rĂ©tablissement des processus naturels de la chaĂźne alimentaire, notamment par la prĂ©sence d’une mĂ©gafaune sauvage avec des herbivores et des carnivores (dont le loup et l’ours).

« Maintenant, nous savons qu’il y avait beaucoup de diversitĂ© dans le paysage. Tout laisse penser que cette diversitĂ© est survenue en raison de l’influence des grands animaux sur la structure de la vĂ©gĂ©tation. Beaucoup des grands animaux de la pĂ©riode interglaciaire sont aujourd’hui Ă©teints, mais nous avons encore des bisons, des chevaux et des bovins« , dĂ©clare Elena Pearce, chercheuse postdoctorale au DĂ©partement de biologie de l’UniversitĂ© d’Aarhus et auteure principale de l’Ă©tude qui conclut : « Sans les grands animaux, les zones naturelles sont dominĂ©es par une vĂ©gĂ©tation dense, dans laquelle de nombreuses espĂšces de plantes et de papillons, par exemple, ne peuvent pas prospĂ©rer. Il est donc important de restaurer les grands animaux dans les Ă©cosystĂšmes si nous voulons encourager la biodiversitĂ©.« 


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