l’érosion littorale aggravée par les activités humaines

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En Bretagne, comme ailleurs, l’érosion du trait de côte est une problématique à prendre au sérieux, notamment pour les habitants vivant encore dans des zones vulnérables. C’est un phénomène naturel et nécessaire mais il est malheureusement intensifié par les activités humaines… Sans grande surprise, l’Homme a modifié la dynamique naturelle du trait de côte et aggravé son déficit en sédiments. Alors, quel est l’avenir du littoral breton ?

Avec un total de plus de 2 470 km de côte, la Bretagne représente à elle seule un tiers du linéaire côtier métropolitain. D’après un rapport publié par l’Observatoire de l’Environnement en Bretagne : « Le trait de côte est difficile à appréhender de façon globale en Bretagne car le littoral de la région présente une particularité par rapport au reste de la façade Atlantique. Ses côtes sont irrégulières, découpées en une alternance de milieux meubles et rocheux : entre les falaises s’intercalent des petites plages enclavées, des ports, des marais maritimes et des abers, des baies étroites dans lesquelles s’engouffre la mer. »

Par rapport à d’autres régions de France, les 4 départements bretons (Finistère, Côtes d’Armor, Morbihan et Ile-et-Vilaine) sont moins impactés par l’érosion. En effet, les données fournies par l’Indicateur national de l’érosion côtière indiquent que l’ensemble des départements bretons, la Loire-Atlantique, la Corse-du-Sud, la Martinique et Mayotte ont moins de 10 % de leurs côtes en recul, tandis que la Seine-Maritime, la Charente-Maritime, la Gironde, l’Hérault et les Bouches-du-Rhône possèdent au moins 50 % de leur trait de côte en recul.

Si on prend l’exemple de la région Aquitaine, « d’un point de vue morphologique, sur les 300 km de linéaire côtier, ce sont des dunes de sable et des plages de sable. Dans ce contexte naturel de pénurie de sédiments, aggravée par endroits par des aménagements côtiers et des tempêtes plus fréquentes ces dernières années ; l’érosion des dunes est très rapide et se fait de façon quasi continue sur le tout le littoral », explique Pierre Stephan, chargé de recherche CNRS en géomorphologie au LETG-BREST.

Avec d’autres chercheurs, Pierre Stephan a réalisé une étude dans laquelle il s’est intéressé aux évolutions du trait de côte sur environ 600 plages bretonnes pendant une cinquantaine d’années.
L’équipe est arrivée aux conclusions suivantes : un tiers des plages bretonnes reculent de façon significative, un tiers d’entre elles sont globalement stables et un tiers du trait de côte a plutôt tendance à avancer avec des plages globalement bien fournies en sédiments. « L’avancée et le recul du trait de côte est un enjeu pour les populations et les habitants du front de mer, mais pour nous c’est un indicateur de l’état de santé sédimentaire », précise-t-il.

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Pointe de Tréfeuntec (Finistère, Bretagne – France)
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Une pénurie de sédiments renforcée par les activités humaines

Le manque de sédiments sur les littoraux bretons ne date pas d’aujourd’hui… « Après une période d’abondance de sédiments sur le littoral, nous sommes progressivement passés, au fil des siècles et des millénaires, à une situation de pénurie sédimentaire naturelle », explique le chercheur au CNRS.

C’était sans compter sur les activités humaines qui ont intensifié, au cours des dernières décennies, ce déficit. « On parle souvent des prélèvements de sédiments réalisés par les Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale pour construire les blockhaus et le Mur de l’Atlantique. En réalité, avant et après les Allemands, il y a toujours eu des prélèvements de sédiments », assure-t-il. Par exemple, pour compenser l’acidité naturelle des sols en Bretagne, les populations côtières prélevaient certains sables qui étaient très coquillés.

« C’est très difficile à quantifier. Mais on sait que les Allemands ont prélevé à une échelle industrielle et ensuite jusqu’aux années 1970, il y a eu de très importants prélèvements par des entrepreneurs locaux », confie-t-il. C’est le cas de la reconstruction de la ville de Brest, lourdement bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale : « Il y avait un besoin en matériaux de construction, c’est pourquoi les entrepreneurs locaux venaient chercher des galets dans l’archipel de Molène. »

L’aménagement des littoraux, avec la construction de murets, de digues ou encore d’enrochements pour freiner au maximum le recul du trait de côte, n’a fait qu’aggraver la situation, en perturbant complètement les déplacements des sédiments le long de la côte. « Il faut voir l’érosion comme un phénomène naturel et nécessaire. Elle a des connotations négatives car les hommes ont souvent figé le trait de côte avec des routes et des habitations, or ce dernier a une position naturellement variable. En réalité l’érosion est un moyen pour le système côtier de se protéger », assure Pauline Letortu, maître de conférences en géographie, au laboratoire LETG de l’Université de Brest. Si on prend l’exemple des falaises, « elles vont être attaquées et une partie va tomber. Celle-ci va se transformer en sédiments qui vont permettre d’alimenter les plages. Or, les plages représentent le meilleur rempart face à l’attaque des vagues. »

L’extraction sédimentaire entraîne alors des conséquences directes sur l’accélération du recul des plages. « On voit que les plages en bonne santé sédimentaire vont reculer lors des tempêtes mais, dans les années suivantes, elles vont rapidement récupérer leur morphologie initiale et se régénérer », explique Pierre Stephan.

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Erosion et éboulement sur la plage Bonaparte (Côte d’Armor, Bretagne)
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Et le changement climatique dans tout ça ?

En règle générale, on associe le phénomène de l’érosion à l’élévation du niveau de la mer. Ce n’est plus un secret pour personne, le réchauffement climatique actuel provoque une importante fonte des glaciers et des calottes glaciaires, entraînant alors l’augmentation du niveau moyen des mers.

Selon le rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, le niveau de la mer a augmenté d’environ 15 cm à l’échelle mondiale au cours du XXe siècle. Cette hausse est actuellement plus de deux fois plus rapide – 3,6 mm par an – et continue de s’accélérer. Le niveau de la mer continuera d’augmenter pendant des siècles et pourrait atteindre 30 à 60 cm environ d’ici 2100 et ce, même si les émissions de gaz à effet de serre sont fortement réduites (si le réchauffement planétaire est limité à une valeur bien en dessous de 2 °C), mais si elles continuent d’augmenter fortement, le niveau moyen des mers pourrait s’élever d’environ 60 à 110 cm.

La Bretagne n’échappe pas à l’élévation du niveau marin et d’après les mesures effectuées au cours des 300 dernières années par le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), le niveau de la mer a augmenté d’environ 30 cm et depuis 1950, cette élévation a tendance à s’accélérer.

Mais alors l’élévation du niveau de la mer est-elle un facteur responsable de l’érosion du littoral ? D’après Pierre Stephan, l’augmentation du niveau des océans risque d’amplifier l’effet érosif des évènements extrêmes responsables de l’érosion des côtes, tels que les tempêtes. « Pour qu’une tempête provoque de l’érosion sur nos côtes à marée en Bretagne, il faut qu’elle survienne par un fort coefficient de marée », ajoute-t-il, tout en précisant que « c’est une conjonction qui est totalement aléatoire. » C’était le cas, par exemple, lors des violentes tempêtes de l’hiver 2013-2014 où le sillon du Talbert (Côtes d’Armor) a reculé d’environ 30 mètres.

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Sillon de Talbert (Côtes d’Armor, Bretagne)
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De plus, il est également trop tôt pour affirmer que, en raison du changement climatique, les tempêtes vont être plus fréquentes et plus intenses. « À ce jour, on ne peut pas réellement le démontrer. » Si on se focalise sur le cas de la grande flèche de galets du Sillon du Talbert, les vitesses de recul ont doublé sur les 20 dernières années en raison de la succession extrêmement rapide et rapprochée de tempêtes. Cependant, « on ne peut pas assurer que ceci est lié au changement climatique. »

Quelles solutions pour les populations côtières ?

Il y a une seule solution pour faire face au recul du trait de côte : relocaliser la population. Chercher à freiner l’érosion n’est pas du tout efficace et finalement, « en cherchant à maintenir une plage, on finit par la perdre », assure le chercheur au CNRS. Les littoraux sont naturellement mobiles, il est donc impossible de les stabiliser. « Est-ce que c’est vraiment souhaitable de bloquer le départ de sédiments alors que l’environnement en a besoin ? », interroge Pauline Letortu.

Les aménagements côtiers permettent de gagner un peu de temps, à court terme, afin que les collectivités littorales adoptent de nouvelles stratégies et s’adaptent au recul inéluctable du trait de côte. « Il faut travailler sur l’acceptabilité de la décision », ajoute Pauline Letortu. Néanmoins, la région est dans une impasse car, grâce à son littoral et à son patrimoine chargé d’histoire, elle attire de plus en plus de touristes chaque année et, d’après les chiffres recensés en 2017, 36,7% de la population régionale vit sur le littoral breton.

L’Observatoire de l’Environnement en Bretagne indique que : « Différentes études sur les perceptions des risques côtiers montrent que les personnes exposées préfèrent défendre le bâti avec des structures « lourdes » de protection, très coûteuses, plutôt que de se replier. Les personnes vivant en bord de mer ont un fort attachement à leur lieu de vie et ont tendance à minimiser les risques. »


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